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Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/188

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DANIEL LESUEUR




Daniel Lesueur, née Jeanne Loiseau (Mme Henry Lapauze), naquit à Paris, en 1862. — Bien qu’elle ait acquis une très grande renommée comme romancière, ce fut par un livre de poésies qu’elle débuta dans les lettres. Il y a toujours quelque puérilité et un peu de ridicule à dire d’un écrivain qui a brillamment réussi dans un genre, qu’il eut tort de ne pas en cultiver un autre, et cependant — sans oublier le succès des romans de Mme Daniel Lesueur — on ne peut s’empêcher de regretter qu’elle ait cessé brusquement d’écrire en vers. Sans nul doute le nom qu’elle s’est fait dans la littérature populaire — elle se le serait fait en poésie, Mme Daniel Lesueur porte en elle le cadavre d’un grand poète tué de ses propres mains I Et cela, on est d’autant mieux autorisé à le proclamer que l’unique recueil poétique qu’elle a publié suffit à lui assurer une place à part dans la poésie féminine contemporaine. Aucune femme, depuis Mme Ackermann, n’a trouvé de plus virils accents, n’a témoigné d’une plus forte culture et d’une pensée plus robuste et sereinement affranchie. Mais si l’on trouve dans ses vers, ainsi que chez Mme Ackermann, un perpétuel souci philosophique, si leur forme, à l’une et à l’autre, témoigne d’un même effort artistique, d’une pareille précision, fd’une force d’expression semblable — Mme Daniel Lesueur, par la direction de sa pensée, par l’originaUté de ses préoccupations philosophiques, s’écarte résolument de l’auteur de la Nature à l’homme et de l’Amour et la Mort. Au pessimisme de Mme Ackermann, elle oppose, non pas à proprement parler im optimisme volontaire, mais une volonté de bonheur absolue. EUe voit bien le monde et la vie tels qu’ils sont dans leur implacable réalité ; nourrie de science moderne, ayant audacleusement scruté les cieux, elle pense que l’homme ne peut plus douter que sa croyance en Dieu ne soit le fruit d’une illusion de son esprit, mais elle lui conseillera pourtant de conserver cette illusion sans laquelle il ne saurait être heureux

Vois, tous nos dieux brisés ont glissé dans l’abîme :
Pourtant nous ne pouvons désapprendre à prier.

Elle dit encore :

Et puisque la Nature aux lois mystérieuses.
Nous donnant la douleur, nous livra l’infini.
Pourquoi briserions-nous les ailes radieuses
Qui nous portent plus haut que notre ciel terni ?
Pour moi, je te salue, illusion féconde.
Qui, seule, à nos efforts viens prêter ta grandeur !
Sur les antiques fronts de tous les dieux du monde,
C’est toi dont, à jamais, j’adore la splendeur.