Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES




Grecque et Roumaine d’origine, fille du prince G. Bibesco, née à Paris, élevée en France, Anne-Elisabeth de Bassaraba de Brancovan est devenue Française par son mariage avec le comte Mathieu de Noailles.

De toutes les femmes poètes contemporaines, Mme de Noailles est la plus célèbre, et si personne ne fut plus louée qu’elle, personne ne fut plus décriée aussi. Peut-être la gloire lui est-elle venue trop vite ; — il faut beaucoup d’habileté pour se faire pardonner cela. Sans doute aussi eut-elle des amis trop enthousiastes et qui ne firent pas montre d’assez de réserve dans leurs éloges. De l’autre côté, on n’eut pas davantage de retenue.

Une des meilleures pages et l’une des plus pondérées qui ait été imprimée sur son œuvre, on la doit à M. Robert de Montesquiou. Cette page est à citer :

« Bittô (Bittô est le nom d’une petite bergère grecque dont Mme de Noailles nous a dit les jeux amoureux en vers délicieux, — M. de Montesquiou se plaît à désigner la poétesse du nom de son héroïne), Bittô n’est pas chrétienne. Pas une seule fois, elle ne prononce le nom de Dieu.

« Mais bien qu’elle les nomme souvent, Junon, Eros, Priapos, les dieux ne sont pour elle que de poétiques mythes. Sa déesse, la seule qu’elle invoque avec foi, c’est la Nature. Quand nous nous exclamons : Seigneur ! » elle s’écrie : « Nature ! » Elle n’aime, elle n’adore que Gaïa, la Terre.

« Son art maintenant. Il est, comme elle, vêtu à l’antique. Á l’ancienne quelquefois, notamment dans cette charmante pièce le Pays, qui résonne comme d’un accent de la Pléiade. Partout ailleurs, son vers résonne d’un timbre qu’il emprunte à cette épigraphe de Taine : « L’antiquité est la jeunesse du monde. » — On dirait une transposition de la poésie grecque, avec parfois une attitude de Chénier, une intonation de Keats. Ses strophes sont des frises de vases où jouent des bergers tendres et tristes, vivants et rêveurs, rieurs et sérieux. Elles sont enguirlandées de mélisse et de réglisse, de cytises et de citrons, de résine et de menthe dont elle excelle à pénétrer, à saturer ses poèmes, comme des sachets avec un sens de l’olfactif qu´ aromatise le terme et donne à l’expression quelque chose d’odorant qui ne se rencontre avec cette intensité que dans le style de d’Annunzio. »

Une chose que tous les critiques s’accordent à reconnaître chez Mme de Noailles, une chose assurément qui prime de beaucoup le sentiment très pur qu’elle a de l’antique et son goût pour Ronsard et les poètes de son école, — c’est l’influence profonde des romantiques sur sa pensée,