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Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/66

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LES MUSES FRANÇAISES


« Mon idéal purement littéraire. Le rendu sincère de l’émotion, l’abandon à l’inspiration ; avec intervention ensuite de la raison qui corrige, organise, équilibre. Le goût de n’être que moi dans l’expression comme dans l’idée. Mon désir encore de fondre en mon art, d’y mêler au moins très intensément tout ce que je dois à la pratique des autres arts : peinture et musique. Un poème ne me satisfait que s’il est très personnel, coloré et d’une harmonie — non pas correctement quelconque — mais en rapport avec ce qu’il exprime. C’est une erreur de l’esthétique classique de croire que la douceur des sons est toujours nécessaire. Nous la tenons de ce Régent du Parnasse, qui a fait quelques-uns des vers les plus rocailleux qui existent et l’influence de Hugo même, du symbolisme après lui, n’a pu encore nous débarrasser de ce préjugé. — Du reste, Boileau était sourd. — Il me déplaît, d’autre part, que le poète s’accorde une liberté trop grande. Je suis partisan d’une dure discipline pourvu qu’il se la crée de lui-même et qu’il ne l’accepte pas d’autrui sans examen. J’admets le vers libre ; mais le vers régulier soumis à un frein rigoureux en devient plus nerveux et plus éclatant. »

Après ce très complet et sincère « examen », quelques lignes des critiques qui ont parlé de Mme Marie Dauguet suffiront, je crois, pour que cette courte notice renseigne parfaitement sur le poète et surtout sur son œuvre.

C’est d’abord M. Émile Faguet qui, en 1902, écrivait : « Voici enfin un vrai poète… Ni classique, ni romantique, ni décadent. S’il ressemble à quelqu’un, c’est un peu à André Chénier. Sa méthode est simple. Marie Dauguet se promène et laisse la nature entrer en elle, et elle cherche à décrire son état d’âme. C’est tout. Une belle plante qui saurait chanter. — Ou je serais bien étonné, ou c’est un vrai, peut-être un grand, à coup sûr un charmant poète qui « va naissant ».

Ensuite, M. Stuart Merrill : « Il y a quelque chose d’âpre, de rêche, de rustique et en même temps de sain, de robuste et de sincère dans la plupart des poésies de Mme Dauguet. On sent « à travers le voile » des phrases, une femme forte et ardente qui pose avec confiance le pied sur la terre où dorment les aïeux. Ses vers sentent le thym, le bois vert et les mousserons, quand ils ne fleurent pas la fraise, l’abricot ou la pomme. Je m’imagine que cette rêveuse, chaque soir, quand elle a secoué de sa robe les feuilles mortes et les herbes folles, s’alanguit à jouer de quelque clavecin vieillot et à chanter dans le crépuscule les chansons de sa province. » — Et, comme M. Faguet, mais avec plus d’assurance, M. Stuart Merrill écrit « Un grand et vrai poète nous est né. »

Il faut encore citer quelques lignes de M. Remy de Gourmont. M. de Gourmont a préfacé l’avant dernier volume de Mme Marie Dauguet, Par l’Amour, — préface très intéressante et on ne peut plus judicieuse quant au jugement porté sur l’œuvre qu’elle présente. Entre autres choses M. de Gourmont écrit : « Mme Dauguet répond admirablement à l’idée que l’on se fait d’un poète de la nature, chez qui toute pensée, avant de se particulariser, a besoin de s’aller tremper dans les ombres forestières ou dans les herbes ensoleillées, parmi les feuilles vertes et les feuilles mortes. D’instinct, elle fraternise avec la vie végétale et c’est là qu’elle prend ses rimes et ses métaphores, sa philosophie et sa mélancolie. »

Ce qui charme le plus M. de Gourmont, dans l’œuvre de Mme Dauguet,