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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

Tout en parlant, Moutier avait pris les Mémoires d’un troupier ; il ouvrit le livre, en lut une ligne, puis deux, puis dix, puis des pages, suivies d’autres pages, si bien qu’une heure après il était encore là, debout devant la table, ne songeant pas à quitter le petit volume. Il n’entendit même pas madame Blidot et Elfy venir le chercher au jardin.

MADAME BLIDOT.

Le voilà dans notre berceau, Dieu me pardonne ! Tiens ! que fait-il donc là, immobile devant notre table ? C’est qu’il ne bouge pas plus qu’une statue !

ELFY, riant.

Serait-il mort ? On dirait qu’il dort tout debout.

MADAME BLIDOT, à mi-voix.

Hem ! hem !… Monsieur Moutier !… Il n’entend pas.

ELFY, de même.

Monsieur Moutier ! le dîner est prêt, il vous attend… Sourd comme un mort ! Parle plus haut ; je n’ose pas, moi je ne le connais pas.

« Monsieur Moutier ! » répéta plus haut madame Blidot en approchant de la table et en se mettant en face de lui. Il leva les yeux, la vit, passa la main sur son front comme pour rappeler ses idées, regarda autour de lui d’un air étonné.

« Bien des excuses, madame Blidot, je ne vous voyais ni ne vous entendais ; j’étais tout à mon livre, c’est-à-dire à votre livre, reprit-il en souriant. Je n’aurais jamais cru qu’un livre pût amuser et intéresser autant. J’en étais à la salle de police ; c’est que c’est ça, tout à fait ça ! Je n’y ai été qu’une fois, et pour un faux rapport, sans qu’il y ait eu de ma faute… C’est si bien raconté, que je croyais y être encore !