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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

MOUTIER.

Oui ; un pauvre vieux général russe blessé qui ne pouvait pas se tirer des cadavres et des débris de Malakoff. J’ai pu le sortir de là comme le fort venait de sauter, et je l’ai rapporté dans le drapeau que j’avais pris ; en nous en allant, comme j’approchais des nôtres, une diable de balle s’est logée dans mon bras ; ce n’était rien ; je pouvais encore marcher, lorsqu’une autre balle me traverse le corps ; pour le coup je suis tombé, me recommandant moi et mon blessé à la sainte Vierge et au bon Dieu ; on nous a retrouvés ; je ne sais ce qu’a dit ce général quand il a pu parler, mais toujours est-il que j’ai eu la croix et que j’ai été porté à l’ordre du jour. C’est le plus beau de mon affaire ; j’avoue que j’ai eu un instant de gloriole, mais ça n’a pas duré, Dieu merci.

MADAME BLIDOT.

Vous êtes modeste, monsieur Moutier ; un autre ferait sonner bien haut ce que vous cherchez à amoindrir.

PAUL.

Maman, j’ai faim ; je voudrais dîner.

MOUTIER, se levant.

C’est moi qui vous ai mis en retard, qui ai mis le désordre dans votre service. Mamzelle Elfy, me voici prêt à vous servir ; j’attends les ordres.

ELFY.

Je n’ai pas d’ordre à vous donner, monsieur Moutier ; laissez-vous servir par nous ; c’est tout ce que je vous demande. Jacques, mets vite le couvert de ton ami. »

Jacques ne se le fit pas dire deux fois ; en trois minutes le couvert fut mis. Pendant ce temps, Moutier