Page:Ségur - Les vacances.djvu/240

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
234
LES VACANCES.

dant toujours, demandant toujours du secours au bon Dieu, et ne désespérant jamais. Rien pour me remonter le cœur, que l’espérance de revoir mon commandant, ma femme et ma Lucie. Un jour, je bondis comme un chevreuil : j’avais aperçu une voile, elle approchait ; je hissai un lambeau de chemise, on l’aperçut, il vint du monde ; quand ils me virent, je vis bien, moi, que ce n’étaient pas des Français. Au lieu de m’aider et de me vêtir, car j’étais nu, sauf votre respect, ces brigands-là se détournaient de moi avec un : « Oh ! shocking, shocking ! — Bêtes brutes, que je leur répondis, donnez-moi des habits, et vos diables de joues resteront bises comme du vieux cuir et n’auront pas à rougir de ce que je ne peux pas empêcher, moi. » Ils m’ont jeté une chemise et un pantalon qu’ils avaient apportés de précaution. Dieu me pardonne ! c’étaient des Anglais, pas des amis pour lors ; ils m’ont pourtant ramassé, mais ils m’ont traîné avec eux pendant six mois. Je m’ennuyais, j’ai fait leur ouvrage, et joliment fait encore ! Ils ne m’ont seulement pas dit merci ; et quand ils m’ont débarqué au Havre, ils ne m’ont laissé que ces méchants habits que j’avais sur le dos quand vous m’avez trouvé dans la forêt, messieurs, mesdames, et pas un schelling avec. Mais je n’en au-