Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/18

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jeta par terre. Vingt personnes se précipitèrent sur moi en m’accablant de coups et d’injures. On emporta ma maîtresse je ne sais où, et l’on me laissa attaché au poteau près duquel étaient étalées les marchandises que j’avais apportées. J’y restai longtemps ; voyant que personne ne songeait à moi, je mangeai un second panier plein d’excellents légumes, je coupai avec mes dents la corde qui me retenait, et je repris tout doucement le chemin de ma ferme.

Les gens que je dépassais sur la route s’étonnaient de me voir tout seul.

« Tiens, ce bourri avec sa longe cassée ! Il s’est échappé, disait l’un.

— Alors, c’est un échappé des galères », dit l’autre.

Et tous se mirent à rire.

« Il ne porte pas une forte charge sur son dos, reprit le troisième.

— Bien sûr, il a fait un mauvais coup ! s’écria un quatrième.

— Attrape-le donc, mon homme, nous mettrons le petit sur son bât, dit une femme.

— Ah ! il te portera bien avec le petit gars », répondit le mari.

Moi, voulant donner une bonne opinion de ma douceur et de ma complaisance, je m’approchai tout doucement de la paysanne, et je m’arrêtai près d’elle pour la laisser monter sur mon dos.

« Il n’a pas l’air méchant, ce bourri ! » dit