Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/286

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Et il partit lentement, suivi du cocher, qui lui criait :

« Prenez donc garde, monsieur Jacques, ne restez pas auprès de Cadichon : il vous mordra, il mordra le bourri ; il est méchant, vous savez bien.

— Il n’a jamais été méchant avec moi, et il ne le sera jamais, » répondit Jacques.

Le cocher frappa l’âne, qui prit le trot, et je les perdis bientôt de vue. Je restai à la même place, abîmé dans mon chagrin. Ce qui en redoublait la violence, c’était l’impossibilité de faire connaître mon repentir et mes bonnes résolutions. Ne pouvant plus supporter le poids affreux qui oppressait mon cœur, je partis en courant sans savoir où j’allais. Je courus longtemps, brisant des haies, sautant des fossés, franchissant des barrières, traversant des rivières ; je ne m’arrêtai qu’en face d’un mur que je ne pus ni briser ni franchir.

Je regardai autour de moi. Où étais-je ? Je croyais reconnaître le pays, mais sans toutefois pouvoir me dire où je me trouvais. Je longeai le mur au pas, car j’étais en nage ; j’avais couru pendant plusieurs heures, à en juger par la marche du soleil. Le mur finissait à quelques pas ; je le tournai, et je reculai avec surprise et terreur. Je me trouvais à deux pas de la tombe de Pauline.

Ma douleur n’en devint que plus amère.

« Pauline ! ma chère petite maîtresse ! m’écriai-je, vous m’aimiez parce que j’étais bon ; je vous aimais parce que vous étiez bonne et malheureuse.