Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/288

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Ils tournèrent le mur et vinrent s’asseoir près de la tombe où j’étais. Je reconnus avec surprise le pauvre maître de Mirliflore, sa femme et son fils. Tous étaient maigres et semblaient exténués. Le père me regarda ; il parut surpris et dit, après quelque hésitation :

« Si je vois clair, c’est bien l’âne, le gredin d’âne qui m’a fait perdre à la foire de Laigle plus de cinquante francs… Coquin ! continua-t-il en s’adressant à moi, tu as été cause que mon Mirliflore a été mis en pièces par la foule, tu m’as empêché de gagner une somme d’argent qui m’aurait fait vivre pendant plus d’un mois ; tu me le payeras, va ! »

Il se leva, s’approcha de moi ; je ne cherchai pas à m’éloigner, sentant bien que j’avais mérité la colère de cet homme. Il parut étonné.

« Ce n’est donc pas lui, dit-il, car il ne bouge pas plus qu’une bûche… Le bel âne, ajouta-t-il en me tâtant les membres. Si je pouvais l’avoir seulement un mois, tu ne manquerais pas de pain, mon garçon, ni ta mère non plus, et j’aurais l’estomac moins creux. »

Mon parti fut pris à l’instant ; je résolus de suivre cet homme pendant quelques jours, de tout souffrir pour réparer le mal que je lui avais fait, et de l’aider à gagner quelque argent pour lui et sa famille.

Quand ils se remirent en marche, je les suivis ; ils ne s’en aperçurent pas d’abord ; mais le père, s’étant retourné plusieurs fois, et me voyant tou-