Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/70

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« Cadichon, Cadichon, tu vois comme on me traite ! On ne veut pas que je t’aime, mais je t’aimerai malgré eux et plus qu’eux, parce que toi tu es bon, tu ne me grondes jamais ; tu ne me causes jamais aucun chagrin, et tu cherches à m’amuser dans nos promenades. Hélas ! Cadichon, quel malheur que tu ne puisses ni me comprendre ni me parler ! Que de choses je te dirais ! »

Pauline se tut : et elle se jeta par terre et continua à pleurer doucement. J’étais touché et attristé de son chagrin, mais je ne pouvais la consoler ni même lui faire savoir que je la comprenais. J’éprouvais une colère furieuse contre cette mère qui, par bêtise ou par excès de tendresse pour sa fille, la rendait malheureuse. Si j’avais pu, je lui aurais fait comprendre le chagrin qu’elle causait à Pauline, le mal qu’elle faisait à cette santé si délicate, mais je ne pouvais parler, et je regardais avec tristesse couler les larmes de Pauline. Un quart d’heure à peine s’était écoulé depuis le départ de la maman, lorsqu’une femme de chambre ouvrit la porte, appela Pauline, et lui dit :

« Mademoiselle, votre maman vous demande, elle ne veut pas que vous restiez à l’écurie de Cadichon, ni même que vous y entriez.

— Cadichon, mon pauvre Cadichon ! s’écria Pauline, on ne veut donc plus que je le voie !

— Si fait, mademoiselle, mais seulement quand vous irez en promenade ; votre maman dit que votre place est au salon et pas à l’écurie. »