Page:Ségur - Nouveaux contes de fées.djvu/197

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« Quelle infortune ! s’écria-t-elle. Quelle honte que l’héritier d’un beau royaume soit un ours ! Que dira le roi Féroce, votre époux, si jamais il vous retrouve ?

— Et comment me retrouverait-il, Passerose ! Tu sais qu’après notre fuite nous avons été emportées dans un tourbillon, que nous avons été lancées de nuée en nuée, pendant douze heures, avec une vitesse telle que nous nous sommes trouvées à plus de trois mille lieues du royaume de Féroce. D’ailleurs, tu connais sa méchanceté, tu sais combien il me hait depuis que je l’ai empêché de tuer son frère Indolent et sa belle-sœur Nonchalante. Tu sais que je ne me suis sauvée que parce qu’il voulait me tuer moi-même ; ainsi je n’ai pas à craindre qu’il me poursuive. »

Passerose, après avoir pleuré et sangloté quelques instants avec la reine Aimée (c’était son vrai nom), engagea sa maîtresse à se mettre à table.

« Quand nous pleurerions toute la nuit, chère reine, nous n’empêcherons pas votre fils d’être velu ; mais nous tâcherons de l’élever si bien, de le rendre si bon, qu’il ne sera pas longtemps sans trouver une bonne âme qui veuille changer sa peau blanche contre la vilaine peau velue de la fée Rageuse. Beau présent, ma foi ! Elle aurait bien fait de le garder pour elle. »

La pauvre reine, que nous continuerons d’appeler Agnella, de crainte de donner l’éveil au roi Féroce, se leva lentement, essuya ses yeux, et s’efforça de vaincre sa tristesse ; petit à petit le