Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/122

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vant l’inaction du pouvoir, et gagner, en quelque heures, des profondeurs des faubourgs jusqu’aux Tuileries et au Palais-Bourbon. Nous vîmes les premières charges de cavalerie, alors qu’on osait encore déployer une apparence de répression ; nous entendîmes tirer les premiers coups de fusil sur la place du Châtelet. En traversant les rues sombres et tortueuses du centre de Paris, nous serrâmes la main de pauvres soldats qui étaient là isolés, perdus dans de petits postes, et dans l’attitude incertaine et fatiguée desquels on lisait déjà les humiliations du lendemain.

Le 24 février au matin, en parcourant les boulevards, nous remarquâmes avec un serrement de cœur tous les indices précurseurs d’une ruine des groupes de bourgeois inquiets, des groupes d’ouvriers menaçants sur les murs, des affiches multipliées qu’on ne daignait plus lire, annonçant avec de nouveaux ministres de nouvelles hésitations et de nouvelles faiblesses ; dans les rues les plus tranquilles d’habitude, des insurgés arrachant publiquement les pavés et construisant en paix des barricades sur les boulevards, symptôme plus alarmant encore, des bataillons entiers de soldats et de gardes nationaux déplorablement confondus, la crosse de leurs fusils en l’air, escortés d’une populace nombreuse dont les cris semblaient à la fois un remerciement et une menace.

Un peu plus tard, après le massacre des braves gardes municipaux, après l’abdication du roi Louis-Philippe et pendant l’envahissement des Tuileries que nous ignorions encore, nous vîmes, toujours ensemble, du socle d’une des statues du pont de la Concorde que nous avions escaladé, une foule ignoble d’hommes, de femmes à moitié ivres, défiler sur les quais, approcher sans résistance de la Chambre des députés, où la duchesse d’Orléans s’était