Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/21

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Et, sortant aussitôt sans manger, il reprit le chemin de la retraite de Paul car les paroles du saint vieillard étaient toujours présentes à son esprit, et il craignait de ne plus le trouver en vie. Le lendemain, il avait déjà marché trois heures, quand tout à coup Paul lui apparut au milieu des anges, des prophètes et des apôtres, montant au ciel tout resplendissant de lumière. À cette vue, il se prosterna le visage contre terre, jeta du sable sur sa tête en signe de deuil et dit en pleurant :

— Paul, pourquoi me quittez-vous ? Je ne vous ai pas dit adieu ! Fallait-il vous connaître si tard pour vous perdre si tôt ?

Puis il se releva, poursuivit sa route en courant et parvint à la grotte de Paul. Là, il trouva le saint vieillard à genoux, la tête levée, les mains étendues vers le ciel. Il fut rempli de joie, croyant qu’il vivait encore, et se mit à prier auprès de lui ; mais bientôt, ne l’entendant pas soupirer comme il avait coutume de le faire en priant, il le toucha de ses mains, l’embrassa en pleurant et vit que l’âme du saint avait quitté la terre ; son corps seul conservait l’attitude de la prière.

C’est cette dernière scène de cette admirable histoire que représente le vieux tableau qui me l’a rappelée. Saint Paul est agenouillé sur la pierre ; ses yeux sont fermés du sceau de la mort ; son corps est d’une maigreur extrême, et ses mains décharnées sont encore étendues et jointes comme pour la prière. Saint Antoine, presque aussi vieux que lui, soutient avec respect le corps de son ami et contemple une dernière fois le patriarche de la solitude. Je ne sais quelle impression produirait ce tableau placé ailleurs mais, en cet endroit, au seuil de ce monastère, il est d’une éloquence saisissante. Il semble placé là pour rappeler aux religieux que,