Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/258

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quand nous la verrions. On ne peut se figurer avec quel respect, quelle vénération ils parlaient de cette sainte fille. Ils l’appelaient tantôt l’addolorata, la douloureuse, tantôt la beata, bienheureuse ! Parole touchante, mot sublime de foi et d’amour de Dieu : Oui, telle est la foi de ces bons paysans du Tyrol, qu’ils appellent bienheureuse cette image vivante et soufflante de Jésus Christ crucifié ; ils le disent, ils le pensent, ils envient son sort. Ce qui est pour les philosophes et même pour bien des chrétiens raffinés un sujet de scandale, est pour ces vrais pauvres de Jésus-Christ un sujet d’édification ; et, en les écoutant, nous répétions en nous-mêmes avec émotion cette parole si surprenante et si vraie du Sauveur « Je vous rends grâce, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché des choses aux sages et aux savants et de ce que vous les avez révélées aux petits ! »

Nous quittâmes à regret cette humble chaumière après avoir échangé avec ses habitants de cordiales poignées de main, et nous redescendîmes la montagne du côté de Capriana. La pluie avait cessé, et nous arrivâmes rapidement au petit village, dernier terme de notre lointaine pérégrination. Nous fûmes surpris, en approchant, de voir toutes les maisons fermées et les rues désertes. Une vieille femme, que nous aperçûmes par hasard sortant d’une chaumière, et que nous interrogeâmes, nous dit que c’était l’heure de vêpres, que tout le monde était à l’église. Telle est, en effet, la dévotion de ces braves paysans, qu’à moins d’empêchement absolu, personne ne manque aux offices du dimanche. Nous demandâmes à cette bonne femme où se trouvait la maison de l’addolorata : elle leva les yeux au ciel et nous indiqua de la main une misérable chaumière située presque à l’entrée du village. Elle ajouta que nous ne pourrions voir la