Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/279

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jeta dans un même cachot avec monseigneur Borie, deux prêtres indigènes, les pères Diem et Khoa, et un catéchiste nommé Antoine Nam.

Dès ce moment, le saint missionnaire ne songea plus qu’à se préparer à la mort… « Quant à l’espoir de nous revoir en ce monde, écrivait-il de sa prison, il n’y faut plus penser. Le tigre dévore et ne lâche pas sa proie, et je vous avoue franchement que je serais désolé de manquer une si belle occasion. Je vous supplie de dire pour moi les trois messes d’usage. Près de paraître devant le tribunal du souverain Juge, les mérites de mon divin Sauveur me rassurent, et les prières des pieux associés de la Propagation de la Foi raniment ma confiance… Je n’ai aucun livre avec moi, et, pour tout chapelet, j’ai une petite corde à laquelle j’ai fait des nœuds…. Je vous laisse tous entre les mains et sous la protection de Marie. » Pendant les quatre mois qui s’écoulèrent entre son arrestation et sa mort, son énergie et sa résignation ne se démentirent pas un instant. Il passait ses journées à chanter des cantiques et des psaumes avec ses compagnons de captivité, à écouter et résoudre les questions que les mandarins venaient lui proposer, et évangéliser le peuple qui accourait en foule le voir et l’entendre dans sa prison. Étrange et admirable spectacle que celui de ce prêtre de Jésus-Christ, prisonnier et chargé d’une cangue ignominieuse, attirant à lui et dominant ses persécuteurs par le seul ascendant de la vertu et de la vérité, entouré de cette foule de païens comme un roi de ses sujets, et leur prêchant avec force, au milieu de ses fers et de ses souffrances, les dogmes et la morale de l’Évangile ! C’est ainsi que l’erreur, alors même qu’elle persécute, est forcée de rendre témoignage à la vérité.

Dans son énergie chrétienne, le saint missionnaire ne ménageait même pas les leçons à ces juges qui tenaient