Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/282

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son élève bien-aimé avec une tendresse particulière et le confia à l’un des chrétiens présents avec ces touchantes paroles « Je pensais que nous irions tous ensemble au supplice mais puisqu’il en est autrement, je déclare que j’adopte ce jeune homme pour mon fils. Ainsi toute l’affection que vous avez eue pour moi, je vous prie de la reporter sur mon cher enfant, »

« Tous les prisonniers fondaient en larmes, raconte un témoin oculaire, et ce fut au milieu des sanglots que se firent nos derniers adieux. Le mandarin nous laissa donner pendant quelques instants un libre cours à notre douleur ; puis il lut aux condamnés leur sentence et leur exprima ses regrets de ne pouvoir différer d’un jour leur exécution, »

Alors monseigneur Borie se leva et lui dit

« Depuis mon enfance, je ne me suis encore prosterné devant personne ; maintenant je remercie le grand mandarin de la faveur qu’il m’a procurée (la faveur de mourir pour la foi), et je lui en témoigne ma reconnaissance par cette prostration. »

Mais l’officier l’empêcha de se jeter à ses pieds et se mit à pleurer comme les autres. Les pères Diem et Khoa firent à leur tour tes mêmes remerciements, et l’on partit pour le lieu du supplice.

Monseigneur Borie marchait à grands pas, et se retournait de temps à autre pour voir si les deux Pères pouvaient le suivre. Tous les trois montraient une figure rayonnante d’une sainte joie. Chemin faisant, le missionnaire saluait tous ceux qu’il connaissait et leur souhaitait la paix. Le mandarin Bô, son persécuteur le plus acharné, fut un de ceux qui se rencontrèrent sur son passage, Il fit faire halte au cortége et demanda au prêtre européen si, à cette heure, il craignait enfin la mort.

« Je ne suis point un rebelle ni un brigand pour la