Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/35

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mander quelques jours de réflexion. Malgré ses infirmités, il partit pour l’Algérie, examina lui-même le terrain qu’on lui proposait : c’était un désert qu’il s’agissait de fertiliser. Il reconnut des difficultés immenses, mais non insurmontables ; il revint et accepta.

Bientôt on vit débarquer sur la côte d’Afrique, à la place même où nos soldats avaient débarqué en 1830, une troupe de religieux à l’apparence modeste, mais au cœur vaillant, troupe d’élite, armée pacifique qui venait combattre des ennemis plus redoutables que les Arabes, la faim, la soif, la maladie et toutes les puissances délétères d’une nature inféconde et rebelle. La lutte fut longue et terrible, elle fut meurtrière : en moins de dix ans, plus de trente religieux succombèrent à la tâche et moururent sur cette terre ingrate, fécondée de leurs sueurs et plus encore de leurs prières et de leur martyre. Je me contenterai de dire, pour indiquer quels obstacles ils eurent à vaincre, qu’en bien des endroits ils durent défoncer le sol jusqu’à six pieds de profondeur pour le fertiliser !

Il fallait le dévouement surhumain, l’abnégation absolue des trappistes, pour résister à de pareilles épreuves. Là où tout autre qu’eux eût échoué, ils ont tenu bon et ils ont triomphé. Le monastère de Staouëli existe, il est fondé et florissant. Le désert a été vaincu, et ses sables arides se sont transformés en prairies, en champs et en jardins d’une admirable fertilité. Les trappistes cultivent aujourd’hui douze cents hectares de terrain, véritable oasis artificielle créée par la main des hommes sous la bénédiction de Dieu, et leurs jardins, devenus célèbres, suffisent presque seuls à alimenter Alger en fruits et en légumes de toute espèce.

Voilà les trappistes ! voilà ces hommes incomparables que des gens, qui ne les connaissent pas et qui ne les