Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/53

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-Caillou, qu’il était assez gravement malade, et qu’il me faisait prier de l’aller voir. Le jeudi suivant, j’étais auprès de son lit.

Ce n’est que le jeudi et le dimanche, de midi à deux heures, qu’il est permis d’aller visiter les malades dans les hôpitaux militaires, avec une carte délivrée à l’intendance, et qui n’est jamais refusée à personne.

Mon pauvre Louis fut bien heureux de me voir. Son visage était pâle et son regard languissant ; néanmoins il ne se sentait pas atteint gravement, et je crus comme lui qu’il en serait quitte pour deux ou trois semaines d’hôpital. Après avoir doucement et longuement causé avec lui, je lui serrai la main et lui dis au revoir. Depuis lors je revins en effet le plus exactement possible, les jeudis et les dimanches, passer quelques moments au chevet du soldat malade.

C’était la première fois que je mettais le pied dans un hôpital militaire ; triste connaissance à faire et qui m’émut douloureusement ! C’est tout un monde que cet hôpital militaire du Gros-Caillou, monde de misères et de souffrance. De vastes corps de logis séparés par de grandes cours peuvent contenir de sept à huit cents lits trop souvent occupés. Les maladies sont classées par catégories et par salles : ici, la salle des fiévreux ; là, celle des blessés ; plus loin, les petites véroles, les scarlatines, les rougeoles ; ailleurs encore, des salles honteuses remplies de malades volontaires ; partout l’image de la souffrance, image plus attristante encore dans un hôpital militaire qu’ailleurs, car il n’y a là que des jeunes gens, des soldats dans la force de l’âge, et le contraste de cette jeunesse avec la souffrance et la mort, de cette langueur de la maladie avec l’énergie et l’activité de la vie militaire ; cette pâleur sur des fronts de vingt ans, et surtout la pensée que la plupart de ces pauvre enfants souffrent