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un monde inconnu

entouraient Jacques et lord Rodilan, charmés de la facilité avec laquelle les nouveaux venus parlaient leur langue. On les interrogeait sur les péripéties de leur voyage ; on voulait recueillir de leur bouche le récit des impressions qu’ils avaient éprouvées dans cette traversée formidable ; on leur demandait ce qu’ils pensaient de ce monde qu’ils étaient venus visiter dans des conditions si extraordinaires ; on admirait leur courage ; leur éloge et leurs noms étaient sur toutes les lèvres.

Jacques et lord Rodilan se prétaient de bonne grâce à cette curiosité empressée, mais toujours discrète. Tout ce qu’ils voyaient depuis quatre mois, cette humanité si différente de la leur ; ce milieu, relativement restreint, où se conservait, comme dans une serre tempérée, un précieux échantillon d’une race éminemment perfectible ; ces hommes chez lesquels la nature seule entretenait la vie sans qu’ils fussent astreints à y travailler eux-mêmes ; ces arts si délicats, ces sciences si complètes, ces institutions si simples et si fécondes, tout cela maintenait leur âme dans un état d’admiration et d’émerveillement perpétuels.

Les préoccupations de Jacques s’étaient dissipées, sa mélancolie avait disparu et, revenu à son naturel ardent et généreux, il se livrait tout entier à ces nouveaux amis dont l’accueil si sympathique lui allait au cœur. Si quelque membre du Pall-Mall Club de Londres eût pu voir en ce moment lord Rodilan, il n’aurait pas reconnu le flegmatique et froid gentleman qui promenait dans les salons dorés de Waterloo-Place son inexorable ennui. L’atmosphère de spleen glacé où il s’enfermait s’était définitivement fondue au contact de ces affections si sincères et si désintéressées. Tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il entendait excitait sa curiosité et son intérêt ; il trouvait maintenant que c’était bien la peine de vivre.

Aussi nos deux amis répondaient-ils avec un cordial entrain et une gaieté communicative aux questions qui leur étaient adressées de toutes parts.

Parfois même les saillies qu’arrachait à Jacques son caractère expansif, à lord Rodilan la tournure incisive et vive de son esprit, amenaient des sourires sur les lèvres de leurs graves auditeurs.

La réception terminée, Aldéovaze, accompagné des trois étran-