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un monde inconnu

son humeur plus inégale, elle s’était sentie elle-même troublée.

Lorsqu’elle vit qu’il avait perdu de vue le but de son voyage, ne parlait plus de ses grands travaux et paraissait renfermer sa vie dans le cercle étroit de cette intimité nouvelle, elle l’observa plus attentivement et ne tarda pas à être fixée sur la nature de ce qu’il éprouvait pour elle.

Ce fut pour la jeune fille une découverte pénible.

Certes, elle ressentait pour le héros d’une si merveilleuse aventure, pour celui surtout que ses soins avaient ramené à la vie du cœur et de l’intelligence, une sympathie profonde ; mais elle avait l’âme trop élevée, elle était d’une nature trop supérieure pour pouvoir s’abandonner, en présence de l’amour qu’elle inspirait, à la joie puérile d’une vanité satisfaite.

Il n’y avait pas de place dans son cœur pour l’orgueil, et c’était avec tristesse qu’elle voyait Marcel souffrir ainsi d’un amour sans issue.

Dès lors elle s’appliqua à guérir cette âme blessée.

Loin de chercher, en fuyant Marcel, à irriter sa passion, elle faisait naître les occasions de le rencontrer et de s’entretenir avec lui, de le ramener, en lui montrant la sérénité de son cœur, à un sentiment plus juste de la réalité, à dissiper les chiméres dont pouvait se bercer son esprit, à faire revivre les hautes ambitions auxquelles il avait tout d’abord consacré sa vie.

Ensemble ils parcouraient les ravissants jardins qui entouraient la maison de Rugel ; ils erraient au bord du lac, ou quelquefois, montant dans une embarcation légère, ils se laissaient doucement bercer par la brise embaumée qui flottait sur les eaux tranquilles.

« Ami, lui disait-elle, le moment ne vous semble-t-il pas venu, maintenant que vous avez complètement recouvré la santé, de reprendre vos tentatives si brusquement interrompues ? Vos amis de la Terre attendent avec anxiété la réponse aux signaux qu’ils vous ont adressés. Comptez-vous les laisser longtemps encore dans une incertitude si cruelle ?

— Ah ! répondit Marcel avec un mouvement d’impatience qu’il ne put dissimuler, pourquoi m’arracher ainsi à mon rêve enchanté ? Depuis que je vis auprès de vous, Oréalis, je me sens heureux