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un monde inconnu

bruyantes jetées à tous les échos de la publicité, ces populations entières convoquées à assister à une expérience scientifique comme à un spectacle de la foire, étaient indignes de véritables savants. Il s’agissait en effet d’une tentative sérieuse pour essaver de résoudre un intéressant problème de cosmographie, et non d’une exhibition prétentieuse et presque charlatanesque où l’orgueil d’une foule ignorante pouvait trouver son compte.

Du reste, les conditions n’étaient plus les mêmes. Le Gun-Club, qui avait patronné la première entreprise, était bien loin d’avoir les ressources nécessaires pour réaliser la somme considérable qu’elle avait coûté : il avait fallu faire appel au public des deux mondes, mettre en jeu l’amour-propre national, provoquer notamment chez les Américains cet élan d’enthousiasme patriotique qui avait fait affluer les capitaux dans la caisse des explorateurs.

Aujourd’hui rien de semblable : la complète déconfiture de la Société des communicalions interstellaires et la vente à un prix dérisoire de tout son materiel, y compris la Columbiad, réduisaient dans des proportions considérables les frais de premier établissement ; en outre, la paradoxale générosité de lord Rodilan dispensait de tout appel au public et par suite de toute publicité. Le succès tout relatif qu’avaient obtenu Barbicane, Nicholl et Michel Ardan était quelque peu oublié ; un profond silence s’était fait sur cette grandiose équipée. D’autres événements étaient survenus qui avaient détourné l’attention et passionné l’opinion publique.

Avant de se rendre à l’observatoire des Montagnes Rocheuses d’où il devait suivre l’obus dans son vol aérien, Francois Mathieu-Rollère, poussé peut-être aussi par sa fille qui désirait retarder autant que possible l’instant de la séparation suprême, avait voulu passer quelque temps en Floride pour se rendre compte par lui-même des préparatifs de l’entreprise à laquelle il portait un si vif intérêt.

Aussi, le 10 novembre, Marcel et lord Rodilan, qu’un télégramme avait prévenus, s’étaient-ils rendus à Tampa-town, où devait aborder le paquebot qui portait Jacques et ses deux compagnons.

« J’espère bien, mon cher lord, avait dit Marcel, pendant qu’ils se rendaient ensemble à la rencontre des arrivants, que vous n’allez pas effrayer de vos funèbres prophéties la fiancée de notre