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un monde inconnu

Ce fut donc au milieu d’un public encore assez nombreux que s’embarquèrent les trois compagnons.

Marcel avait amené de France un jeune ingénieur, Georges Dumesnil, attaché précédemment à l’usine du Creusot, d’une expérience éprouvée, qui l’avait aidé dans la partie technique de toutes les opérations préalables. C’est à lui qu’il confia la délicate mission de présider à la descente de l’obus dans l’âme de la Columbiad, et de lancer l’étincelle électrique qui devait mettre le feu à la charge de fulmi-coton et envoyer le projectile dans l’espace.

Le départ s’effectua comme il avait été prévu, le 15 décembre, à dix heures quarante-six minutes quarante secondes du soir. L’obus lancé avec une force prodigieuse s’échappa des flancs embrasés de la Columbiad, au milieu des hurrahs d’une foule enthousiasmée.

L’expérience du premier départ n’était pas restée inutile, et les désastres qui avaient signalé la précédente explosion du gigantesque tube de fonte furent pour la plupart évités. Les assistants ressentirent, il est vrai, une violente commotion, et bon nombre d’entre eux, bien que prévenus, roulérent sur le sol ; mais aucun train ne dérailla, aucun navire ne chassa sur ses ancres, et les vaisseaux qui sillonnaient l’Atlantique ne furent pas troublés dans leur marche. Le ciel même ne s’obscurcit pas de vapeurs insolites, et les observateurs qui, à l’heure dite, tenaient l’œil fixé à l’oculaire du télescope des Montagnes Rocheuses, constatèrent le passage dans notre atmosphère d’une sorte d’astéroïde incandescent qu’en toute autre circonstance ils auraient pris pour un vulgaire bolide, si, prévenus comme ils l’étaient, ils n’avaient reconnu en lui le projectile de la Columbiad.

Le savant Mathieu-Rollère surtout trépignait d’aise.

« Ah ! s’écriait-il en se frottant vigoureusement les mains, les voilà partis, ces braves jeunes gens. Ils ont été exacts. Maintenant le véhicule qui les transporte, sorti de notre atmosphère, a disparu dans les profondeurs de l’espace. Mais, ajoutait-il, dans trois jours nous les reverrons, nous les suivrons pas à pas dans leur chute, et nous assisterons à leur arrivée triomphale sur notre satellite. »

Hélène pleurait en silence.