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un monde inconnu

qu’il connût scientifiquement la route que devait tenir le projectile, l’œil géant du télescope ne pouvait rien percevoir : la nuit jalouse gardait son secret. Épuisé de fatigue, il s’était endormi dans l’après-midi du quatrième jour, lorsque tout à coup (il était alors environ cinq heures du soir, mais la nuit vient vite dans cette saison et dans ces régions hyperboréennes) un des jeunes astronomes qui se relayaient au télescope poussa un cri : « Les voilà ! les voilà ! »

Mathieu-Rollère, aussitôt prévenu, bondit.

Sur le disque largement éclairé de la Lune se détachait un petit point noir presque imperceptible, mais qui, ainsi qu’on put le constater à l’aide du micromètre, se déplaçait sensiblement.

« Ce sont eux, à n’en pas douter, » murmura le savant.

En effet, le point mobile dans lequel l’astronome reconnaissait le projectile se trouvait à ce moment au-dessus de la partie occidentale de la mer des Pluies, là où s’élèvent les cratères d’Aristillus et d’Autolycus ; il semblait s’avancer dans cette vallée limitée par la pointe extrême de la chaîne du Caucase et les deux cratères.

Bien que le mouvement de translation du projectile fût, à une pareille distance, presque insensible, il était évident que la chute s’opérait avec une effrayante rapidité.

Tous les astronomes habituels de l’observatoire et bon nombre d’autres savants qu’avait attirés le désir de suivre cette étrange expérience, étaient venus successivement fixer leur œil à l’oculaire du télescope, et tous avaient constaté le déplacement du point observé par Mathieu-Rollère. Tous partageaient son avis.

Il reprit sa place à l’oculaire. Les autres astronomes, le regard attaché aux aiguilles d’une pendule sidérale, calculaient l’instant où les voyageurs devaient arriver à leur but. C’était à onze heures cinquante-neuf minutes soixante secondes qu’ils devaient atteindre la surface de notre satellite.

« Ils approchent, murmurait Mathieu-Rollère, mais il y a quelque chose que je ne m’explique pas. Ils devraient, à l’aide des fusées dont ils disposent, ralentir leur mouvement ; mais sans doute, à une telle distance, pareille constatation est impossible. »