Page:Sélènes Pierre un monde inconnu 1896.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
60
un monde inconnu

encore l’absence d’atmosphère ; sur leurs flancs profondément labourés se creusaient de sombres précipices, que remplissait une ombre dont aucune lumière diffuse ne diminuait la noirceur. Tout autour, le sol était semé de crevasses et de brusques saillies : on aurait dit les vagues d’un océan surpris tout à coup et figé au milieu des déchaînements de la tempête. Mais nulle part on n’apercevait rien qui pût indiquer la présence d’êtres animés.

Marcel appuya de nouveau sa main sur le levier. Pour la seconde fois l’oxygène fusa. Cette secousse fut moins violente que la première et le temps d’arrêt moins marqué. Le jeune ingénieur put se rendre compte exactement de la marche du projectile.

Il s’écria :

« Nous allons passer au-dessus du groupe des cratères ; nous ne tomberons pas dans les marais du Brouillard.

— Où donc alors allons-nous aborder ? demanda Jacques.

— Sur les rives de l’Achéron, » murmura lord Rodilan.

Personne ne songea à relever cette boutade.

Le visage de Marcel exprimait une certaine anxiété ; celui de Jacques était grave.

Au moment d’atteindre leur but, ces hommes si fortement trempés, dont l’audace n’avait pas reculé devant les périls d’un tel voyage, se sentaient pris d’une secrète angoisse.

Qu’allait-il advenir ? Comment arriveraient-ils sur le sol de notre satellite ? Y arriveraient-ils vivants ?

« Ah ! s’écria tout à coup Marcel, nous allons passer entre les deux cratères d’Autolycus et d’Aristillus, et nous allons sûrement tomber dans la vallée qui s’étend du pied des cratères jusqu’aux derniers pics de la chaîne du Caucase. »

Lord Rodilan, assis sur le divan circulaire, semblait ne pas écouter cet entretien fiévreux et se perdait dans une rêverie profonde, comme si tout ce qui l’entourait lui eût été complètement étranger.

« Mais, fit tout à coup Jacques, qu’est cela ? »

Et du doigt il désignait une large fissure du sol lunaire dont les sinuosités serpentaient au milieu de la vallée. Elle allait s’élargissant à mesure que le projectile se rapprochait et, entre ses bords, s’ouvrait un sombre abîme dont les côtés étaient hérissés d’aspé-