Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/119

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gloire de n’avoïr pas répandu dans le monde entier une seule goutte de sang, est d’autant plus grande, d’autant plus admirable, que jamais le glaive ne fut confié à de plus jeunes mains. La clémence, je le répète, ne procure pas seulement au prince l’honneur, mais encore la sûreté ; elle est à la fois l’ornement et l’appui le plus certain du trône. Pourquoi, en effet, voit-on les bons rois vieillir et transmettre la couronne à leurs fils et à leurs petits-fils, tandis que le règne des tyrans est aussi court qu’exécrable ? Et la différence qui existe entre un tyran et un roi (car extérieurement leur situation est semblable et leur puissance est la même) ne consiste-t-elle pas uniquement en ce que les tyrans versent le sang par plaisir, et les rois seulement pour de justes motifs et par nécessité ?

[1, 12] XII. Quoi ! dira-t-on, les rois n’infligent-ils jamais la peine de mort ? Ils le font quand l’intérêt public le leur ordonne ; mais la cruauté plait au cœur des tyrans. Ainsi ce n’est pas par le nom, mais par les actions, qu’un tyran diffère d’un roi. En effet, Denys l’Ancien peut, à juste titre, être mis au dessus de bien des rois ; et rien n’empêche de donner le nom de tyran à Sylla, qui ne cessa d’égorger que lorsqu’il n’eut plus d’ennemi. Quoiqu’il soit descendu de la dictature et qu’il ait repris la toge de citoyen, quel tyran s’abreuva jamais de sang aussi avidement Que celui qui fit massacrer à la fois sept mille citoyens romains ; qui, ayant entendu du temple de Bellone, situé dans le voisinage, les cris de cette multitude gémissante sous le glaive, dit au sénat effrayé : « Continuons, pères conscrits ; c’est un petit nombre de séditieux qu’on exécute par mon ordre. » En cela il disait vrai : Sylla les trouvait en petit nombre ; mais bientôt