Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/183

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que c’est que la compassion. En général, on la loue comme une vertu et on donne le titre de bon à l’homme compatissant. Cependant la compassion est une disposition vicieuse. La cruauté et la compassion sont voisines, l’une de la sévérité, l’autre de la clémence. Nous devons éviter de nous laisser entraîner vers la cruauté, sous l’apparence de la sévérité, et vers la compassion, sous celle de la clémence. Dans le second cas, le péril est moindre ; mais dès que l’on s’écarte de la vérité, l’erreur est égale.

V. De même que la religion honore les dieux, tandis que la superstition les outrage, de même les gens de bien doivent montrer de la clémence et de l’humanité, mais éviter la compassion7 ; c’est le vice d’une âme faible, qui succombe à l’aspect des maux d’autrui. Aussi la rencontre-t-on souvent même chez les méchants. On voit des vieilles et des femmelettes que les larmes des plus grands coupables attendrissent tellement, qu’elles briseraient, si elles le pouvaient, les portes de leur prison. La compassion considère les malheurs de celui auquel elle s’attache, mais non leur cause ; la clémence, au contraire, est d’accord avec la raison. L’ignorance, je le sais, décrie la secte des stoïciens, comme trop dure, et comme incapable de donner aux princes de bons conseils. On lui reproche d’interdire au sage la pitié et le pardon ; doctrine qui, présentée dans de pareils termes, serait odieuse, car elle ne laisserait aucune espérance aux erreurs de l’humanité, et conduirait tous les délits à un infaillible châtiment. S’il en était ainsi, que faudrait-il penser d’une philosophie qui ordonnerait d’oublier l’humanité, et qui, en proscrivant l’indulgence mutuelle, fermerait le port le plus sûr contre l’adversité ? mais, au contraire, il n’y a pas de secte plus bienveillante, plus