Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/207

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un oracle de la bouche d’un grand poète6 me paraît incontestable :

Nous ne vivons que la moindre partie
Du temps de notre vie ;

car tout le reste de sa durée n’est point de la vie, mais du temps. Les vices nous entourent et nous pressent de tous côtés : ils ne nous permettent ni de nous relever, ni de reporter nos yeux vers la contemplation de la vérité ; ils nous tiennent plongés, abîmés dans la fange des passions. Il ne nous est jamais permis de revenir à nous : même lorsque le hasard nous amène quelque relâche. Nous flottons comme sur une mer profonde, où, même après le vent, on sent encore le roulis des vagues ; et jamais à la tourmente de nos passions on ne voit succéder le calme.

Vous croyez que je ne parle que de ceux dont chacun publie les misères : mais considérez ces heureux du jour, autour desquels la foule se presse ; leurs biens les étouffent. Combien d’hommes que l’opulence accable ; combien d’autres pour cette éloquence, qui dans une lutte de chaque jour les force à déployer leur génie, ont épuisé leur poitrine ; combien sont pâles de leurs continuelles débauches ; que de grands à qui le peuple des cliens toujours autour d’eux empressé ne laisse aucune liberté ! Enfin parcourez tous les rangs de la société, depuis les plus humbles jusqu’aux plus élevés7, l’un réclame votre appui en justice, l’autre vous y assiste ; celui-ci voit sa vie en péril, celui-là le défend, cet autre est juge : nul ne s’appartient ; chacun se consume contre un autre. Informez-vous de ces cliens dont les noms s’apprennent par cœur, vous verrez à quels signes on les reconnaît : celui-ci