Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/257

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et qu’en attendant le moment fixé pour leur souper, ils se plaignent que les heures s’écoulent avec lenteur : car si quelquefois leurs occupations les quittent, ils sont tout accablés du loisir qu’elles leur laissent ; ils ne savent ni comment en faire usage, ni comment s’en débarrasser : aussi cherchent-ils une occupation quelconque ; et tout le temps intermédiaire devient un fardeau pour eux. Cela certes est si vrai, que, si un jour a été indiqué pour un combat de gladiateurs, ou si l’époque de tout autre spectacle ou divertissement est attendue, ils voudraient franchir tous les jours d’intervalle. Tout retardement à l’objet qu’ils désirent leur semble long. Mais le moment après lequel ils soupirent est court et fugitif72, et devient encore plus rapide par leur faute ; car d’un objet ils passent à un autre, et aucune passion ne peut seule les captiver. Les jours pour eux ne sont pas longs, mais insupportables. Combien, au contraire, leur paraissent courtes les nuits qu’ils passent dans les bras des prostituées et dans les orgies ? Aussi les poètes dont le délire73 entretient par des fictions les égaremens des hommes, ont-ils feint que Jupiter, enivré des délices d’une nuit adultère, en doubla la durée. N’est-ce pas exciter nos vices que de les attribuer aux dieux, et de donner à la licence de nos passions les excès de la Divinité pour excuse ? Pourraient-elles ne leur point paraître courtes ces nuits qu’ils achètent si cher ? Ils perdent le jour dans l’attente de la nuit, et la nuit dans la crainte du jour. Leurs plaisirs même sont agités ; ils sont en proie à mille terreurs ; et au sein de leurs jouissances cette pensée importune se présente à leur esprit : « Combien ce bonheur doit-il durer74 ? » Cette triste réflexion a souvent fait gémir sur leur puissance les rois, moins sa-