Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/259

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tisfaits de leur grandeur présente qu’effrayés de l’idée de son terme. Lorsque dans des plaines immenses Xerxès75 déployait son armée tellement nombreuse, que, ne pouvant en faire le dénombrement, il la mesurait par l’étendue du terrain qu’elle couvrait, ce monarque si orgueilleux ne put retenir ses larmes, en songeant que de cette multitude d’hommes à la fleur de l’âge, aucun n’existerait dans cent ans. Mais lui, qui pleurait ainsi76, allait dans un bien court intervalle, faire périr soit sur terre, soit sur mer, dans le combat ou dans la fuite, ces mêmes hommes pour lesquels il redoutait la révolution d’un siècle.

XVII. Pourquoi leurs joies mêmes sont-elles inquiètes ? c’est qu’elles ne reposent pas sur des fondemens solides : la même vanité qui les fait naître, les trouble. Que pensez-vous que doivent être les momens de leur vie, qui, de leur aveu même, sont malheureux, puisque ceux dont ils s’enorgueillissent et qui semblent les élever au dessus de l’humanité, sont loin de leur offrir un bonheur sans mélange ? Les plus grands biens ne sont point exempts de sollicitude, et la plus haute fortune doit inspirer le moins de confiance. Le bonheur est nécessaire pour conserver le bonheur, et les vœux exaucés exigent d’autres vœux. Tout ce que donne le hasard est peu stable ; et plus il vous élève, ainsi plus haut il vous suspend au bord du précipice. Or, personne ne doit se complaire à des biens si fragiles. Elle est donc non-seulement très-courte, mais aussi très-malheureuse la vie de ceux qui se procurent avec de grands efforts ce qu’ils ne peuvent conserver qu’avec des efforts plus grands encore77 : ils acquièrent avec peine ce qu’ils désirent, et c’est avec inquiétude qu’ils possèdent ce qu’ils ont acquis. On