Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne tient cependant aucun compte d’un temps qui ne doit plus revenir : à d’anciennes occupations on en substitue de nouvelles78 ; un espoir accompli fait naître un autre espoir79 ; l’ambition provoque l’ambition. On ne cherche point la fin des peines, seulement on en change l’objet. S’est-on tourmenté pour parvenir aux honneurs, on perd plus de temps encore, afin d’y faire arriver les autres. Candidats, sommes-nous à la fin de nos brigues, nous devenons solliciteurs pour autrui80. Avons-nous déposé la pénible fonction d’accusateur, nous aspirons à celle de juge. A-t-on cessé d’être juge, on veut présider le tribunal. Cet agent mercenaire a vieilli pour gérer la fortune d’un autre : maintenant la sienne l’absorbe tout entier. Marins a quitté la chaussure du soldat81 : il devient consul. Quintius se hâte de déposer la dictature : il va bientôt être encore une fois arraché à sa charrue. Il marchera contre les Carthaginois, dès avant l’âge requis pour une si grande entreprise, Scipion vainqueur d’Annibal, vainqueur d’Antiochus, ornement de son propre consulat, caution de celui de son frère82 ; et si lui-même n’y met obstacle, il sera placé à côté de Jupiter. Plus tard, des citoyens séditieux n’en poursuivront pas moins le sauveur de Rome ; et après qu’il aura dédaigné dans sa jeunesse des honneurs qui l’eussent égalé aux dieux, sa vieillesse ambitieuse se complaira dans un exil sans terme83. Jamais on ne manquera de motifs heureux ou malheureux de sollicitude : les affaires nous interdiront le repos ; on n’en prendra jamais en le désirant toujours84.

XVIII. Séparez-vous donc du vulgaire, mon cher Paulinus ; et pour rentrer enfin paisiblement au port85, n’attendez pas que toute votre vie ait essuyé la tempête. Songez combien de fois vous avez bravé les flots,