Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/301

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homme habile qui ait exploré les lieux vers lesquels nous marchons ; car il n’en est pas de ce voyage comme des autres : dans ces derniers, un sentier que l’on a pris et les gens du pays, à qui l’on demande le chemin, ne permettent pas que l’on s’égare ; mais ici le chemin le plus battu, et le plus fréquenté, est celui qui trompe le plus. Rien donc n’est plus important pour nous, que de ne pas suivre, à la manière du bétail, la tête du troupeau, en passant, non par où il faut aller, mais par où l’on va. Or, il n’est chose au monde, qui nous jette dans de plus funestes embarras, que l’usage où nous sommes de nous façonner au gré de l’opinion, en regardant comme le mieux ce qui est reçu par un grand assentiment, et ce dont nous avons des exemples nombreux ; c’est vivre, non suivant la raison, mais par imitation. De là, cet énorme entassement de gens qui se renversent les uns sur les autres. Comme il arrive dans un grand carnage d’hommes, quand la multitude se refoule sur elle-même, nul ne tombe sans faire tomber sur lui quelqu’autre qu’il entraîne, et les premiers causent la perte de ceux qui suivent : voilà ce que dans toute vie vous pouvez voir se passer. Nul ne s’égare pour lui seul, mais on est la cause et l’auteur de l’égarement d’autrui. Le mal vient de ce qu’on est serré contre ceux qui marchent devant. Tandis que chacun aime mieux croire que de juger, jamais on ne juge de la vie, toujours on en croit les autres. Ainsi nous ébranle et nous abat l’erreur transmise de main en main, et nous périssons victimes de l’exemple. Nous serons guéris, si une fois nous sommes séparés de la grande réunion. Quant à présent, le peuple tient ferme contre la raison ; il défend sa maladie. Aussi arrive-t-il ce qui a lieu dans les comices, où,