Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/61

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de Thrace ; il répondit que la mère des dieux était aussi du mont Ida39.

XIX. Ne descendons point dans le champ des rixes et des luttes ; retirons-nous loin en arrière, et, quelques provocations que des imprudens nous adressent, car l’imprudence seule peut se les permettre, n’en tenons point compte. Les hommages et les injures du vulgaire doivent être confondus dans le même mépris : ne nous affligeons pas des unes, ne nous félicitons pas des autres, sinon la crainte ou le dégoût des mortifications nous feront omettre des devoirs essentiels, et nous manquerons à ceux d’hommes publics et privés, souvent même à notre amendement moral, si, dans nos angoisses soucieuses, nous tremblons comme des femmes, de rien ouïr qui nous désoblige ; parfois aussi nos rancunes contre des hommes puissans se dévoileront avec une indiscrète liberté. Or, la liberté ne consiste pas à ne rien tolérer ; détrompons-nous : être libre, c’est mettre son âme au dessus de l’injure, c’est se rendre tel, que l’on trouve en soi seul la source de ses plaisirs ; c’est se détacher de l’extérieur, pour n’avoir point à passer sa vie dans l’inquiète appréhension d’essuyer partout le ridicule ou la calomnie. Car à qui sera-t-il impossible de nous offenser, si une seule personne le peut faire ? Mais le sage et l’aspirant à la sagesse emploieront chacun un remède différent. A l’homme imparfait encore, et qui n’a pas cessé de se diriger sur le jugement du grand nombre, nous représenterons qu’à chaque pas l’injure et l’humiliation l’attendent. Les accidens prévus sont toujours moindres. Plus votre naissance, votre renommée, votre patrimoine vous distinguent, plus il vous faut montrer de courage, vous souvenant que les soldats