Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/97

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culier, il est naturel que celui dans la personne duquel l’état se trouve en quelque sorte concentré, leur soit plus cher que tout le reste. L’empereur s’est tellement identifié avec la république12, que leur séparation entraînerait leur perte commune : autant l’un a besoin de bras, autant l’autre a besoin de tête.

V. Je semble m’être éloigné de mon sujet, tandis que je l’ai au contraire abordé d’une manière directe. En effet, si, comme je viens de l’établir, vous êtes l’âme de la république, et qu’elle soit votre corps, vous voyez, je pense, à quel point la clémence est nécessaire ; car c’est vous-même que vous épargnez lorsque vous paraissez épargner les autres. On doit donc conserver des citoyens, même coupables, comme on conserve des membres malades ; et si quelquefois on a besoin de tirer du sang, il faut retenir sa main, pour ne pas ouvrir la veine au delà de ce que la nécessité commande. Ainsi, comme je le disais, la clémence, chez tous les hommes, est conforme au vœu de la nature ; mais c’est chez les princes surtout qu’elle est belle, parce qu’elle trouve beaucoup plus à conserver, et qu’elle s’exerce sur une matière plus vaste. Combien en effet est restreint le mal que cause la cruauté des hommes privés ! mais la cruauté des princes est une véritable guerre.

Quoique toutes les vertus soient liées entre elles, et qu’il n’y en ait pas de meilleure ni de plus estimable que les autres13, cependant il en est qui conviennent plus particulièrement à certaines personnes.

La grandeur d’âme sied à tout homme, quelque bas qu’il soit placé dans la société ; car que peut-il y avoir de plus grand et de plus courageux que de lutter contre le malheur ? Néanmoins elle est plus au large dans la pros-