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DE LA COLÈRE, LIVRE III.

ennemis que ceux de ses sujets. Au siége de je ne sais quelle bicoque, les Grecs qui la défendaient, se fiant sur la force de la place, bravaient les assaillants, faisaient mille plaisanteries sur la laideur d’Antigone, et riaient tantôt de sa petite taille, tantôt de son nez épaté. « Bon ! dit-il, je puis espérer, puisque j’ai Silène dans mon camp. » Quand il eut réduit ces railleurs par la famine, ceux des captifs qui étaient propres au service furent répartis dans ses cohortes et le reste vendu à l’encan, ce qu’il n’eût même pas fait, assura-t-il, si pour leur bien il n’eût fallu un maître à de si mauvaises langues. Le petit-fils de ce roi fut Alexandre[1], qui lançait sa pique contre ses convives, qui de ses deux amis cités tout à l’heure livra l’un à la fureur d’un lion et fut pour l’autre une bête féroce. Et de ces deux hommes, celui qu’il jeta au lion survécut.

XXIII. Alexandre ne tenait cet affreux penchant ni de son aïeul, ni même de son père. Car si Philippe eut quelque vertu, ce fut, entre autres, la patience à souffrir les injures, grand moyen politique pour maintenir un État. Démocharès, surnommé Parrhésiaste pour l’extrême impertinence de son langage, lui avait été député avec d’autres citoyens d’Athènes. Après avoir entendu l’ambassade avec bienveillance, le prince demanda ce qu’il pouvait faire qui fût agréable aux Athéniens : « Te pendre, » répliqua Démocharès. L’indignation des assistants se soulève à cette brutale réponse ; mais Philippe fait cesser les murmures et congédie ce Thersite sans lui faire le moindre mal : « Pour vous, dit-il aux autres députés, allez dire aux Athéniens que ceux qui parlent de la sorte sont bien plus intraitables que celui qui les entend sans les punir. »

Le divin Auguste a montré aussi, par beaucoup d’actes et de paroles mémorables, que la colère n’avait pas d’empire sur lui. L’historien Timagène(14) s’était permis sur l’empereur, sur l’impératrice et sur toute leur maison certains mots qui ne furent point perdus, car un trait piquant circule et vole de bouche en bouche d’autant plus vite qu’il est plus hardi. Souvent Auguste l’avertit de modérer sa langue ; comme il persistait, le palais lui fut interdit. Depuis, Timagène vieillit commensal d’Asinius Pollion ; et toute la ville se l’arrachait. L’exclusion du palais impérial ne lui ferma aucune autre porte. Plus tard il lut publiquement et brûla ses histoires manuscrites, sans faire grâce à son journal de la vie d’Auguste. Il

  1. Il y a oubli, ou corruption de texte. L’aïeul d’Alexandre était Amyntas.