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IX
ET LES ÉCRITS DE SÉNÈQUE.


tables de Sénèque, eût négligé un si heureux texte de déclamation, n’eût pas tonné contre le philosophe qui se serait condamné si gauchement dans ses propres écrits ? A-t-on ici le vrai texte de Dion, ou son abréviateur Xiphilin y aura-t-il intercalé cette imputation plus absurde encore que les diatribes de Suilius ? On se l’est demandé : il importe peu de le savoir. Ce Dion, généralement accusé par tous les biographes d’injustice et de dénigrement jaloux envers les personnages les plus marquants de l’histoire, et que Crévier appelle le calomniateur éternel de tous les Romains vertueux, ne manque pas d’affirmer que Sénèque avait inspiré à Néron le dessein de tuer sa mère Agrippine. L’assertion ici est trop forte pour mériter qu’on la discute. Sur ce point, comme pour les principaux traits de la vie de Sénèque, nous préférons nous en rapporter à l’honnête Tacite, presque contemporain du philosophe. Dion n’écrivit qu’un siècle après et nous venons de voir ce que vaut son témoignage. Suilius et Dion, voilà pourtant les seules sources d’où découlèrent toutes les imputations dont on a flétri la mémoire du ministre de Néron : de siècle en siècle, la malignité les a accueillies complaisamment et sans examen. Suétone, très-bref sur notre auteur, ne nous apprend rien à son égard qui ne soit dans Tacite. Ce dernier seul pourra donc et devra nous guider[1].

  1. « Je ne crois aucunement le tesmoignage de Dion l’historien. Car outre qu’il est inconstant, qu’après avoir appellé Sénèque très sage tantost, et tantost ennemy mortel des vices de Néron, le fait ailleurs avaricieux, usurier, ambitieux, lasche, voluptueux, et contrefaisant le philosophe à fausses enseignes ; sa vertu paroist si vive et vigoureuse en ses escrits, et la défense y est si claire à aucune de ces imputations, comme de sa richesse et despense excessive, que je n’en croirois aucun tesmoignage au contraire. Et d’avantage, il est bien plus raisonnable de croire en telles choses les historiens romains, que les Grecs et estrangers. Or Tacitus et les autres parlent très honorablement et de sa vie et de sa mort, et nous le peignent en toutes choses personnage très excellent et très vertueux. Et je ne veux alléguer autre reproche contre le jugement de Dion, que celuy-cy, qui est inévitable : c’est qu’il a le sentiment si malade aux affaires romaines qu’il ose soutenir la cause de