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OU DE LA RETRAITE DU SAGE.


n’est pas pour cela restée inactive : ils ont trouvé le secret de rendre leur repos plus profitable à l’humanité que n’ont pu l’être les agitations et les sueurs de tant d’autres. Aussi a-t-on jugé qu’ils ont beaucoup fait, bien qu’ils n’eussent rien fait dans la cité4.

Au surplus il y a trois genres de vie dont on a coutume de se demander quel est le meilleur : l’un est tout au plaisir, l’autre à la contemplation, le troisième à l’action. Et d’abord, en déposant l’esprit de contention et cette haine que nous jurons implacable aux sectateurs des autres écoles, voyons si ces trois tendances, sous des noms divers, n’arrivent pas au même point. Ni le partisan du plaisir n’est exclu de la contemplation, ni celui qui se voue à la contemplation n’est dépourvu de plaisir, ni l’homme dont la vie est vouée à l’action n’est étranger à la contemplation.

« Il est bien différent, dis-tu, qu’une chose soit le but d’un système ou l’accessoire d’un autre but. » Sans doute la différence est grande : ici pourtant l’un n’est point sans l’autre. Le contemplateur ne saurait être sans action, ni l’homme d’action s’empêcher de réfléchir, et le troisième, dont nous nous accordons à penser si mal, est partisan non pas d’un plaisir inerte, mais d’un plaisir qu’il travaille à s’assurer par la raison. « Ainsi à son tour cette secte de voluptueux est agissante ! » Comment ne le serait-elle pas, quand Épicure lui-même dit que parfois il s’éloignera de la volupté, qu’il ira jusqu’à rechercher la douleur, si la volupté est menacée de repentir, ou s’il faut choisir une douleur moindre au lieu d’une plus grave ? À quoi tend ce que j’avance ? À faire voir que la contemplation plaît à tous. Pour d’autres c’est le but ; pour nous c’est une station, non un port. Ajoute à cela que d’après la loi de Chrysippe on peut vivre dans le repos, je ne dis point par résignation, mais par choix. Notre école nie que le sage doive entrer dans aucune sorte de gouvernement. Mais qu’importe comment il arrive au repos, soit que la chose publique ne veuille pas de lui ou qu’il ne veuille pas de la chose publique ? Si elle repousse tout le monde, (or jamais elle n’accueillera ceux qui sont tièdes à venir à-elle,) je demande à quel ordre de choses le sage pourra participer. À la démocratie d’Athènes, où Socrate est condamné, d’où Aristote fuit pour ne pas l’être, où l’envie opprime les vertus ? Non, diras-tu : le sage ne se mêlera pas d’un tel gouvernement. S’en, ira-t -il donc à Carthage, où l’anarchie est permanente, la liberté hostile à tout mérite, le juste et l’hon-