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XXI
ET LES ÉCRITS DE SÉNÈQUE.


Venant d’un ennemi littéraire, presque d’un contemporain peu novateur, en théorie du moins, cet éloge doit sembler assez beau ; du moins est-il méritoire pour celui qui le donne C’est surtout comme professeur de style que Quintilien porte son jugement : il estime, il admire le fond, c’est à peu près la forme seule qu’il critique. Rollin, qu’on a surnommé le Quintilien français, va un peu plus loin : « Sénèque, dit-il, est un esprit original, propre à donner de l’esprit aux autres et à leur faciliter l’invention. » (Traité des Études, liv. II, chap. III.) « Le fond de Sénèque est admirable : nul auteur ancien n’a autant de pensées que lui, ni si belles, ni si solides. » (Hist. anc., t. XII.) Laharpe lui-même, détracteur passionné de Sénèque, parce que Diderot, qu’il prenait à partie comme libre penseur, s’en était fait l’admirateur outré, dit expressément : « Il n’y a guère de page de cet auteur qui n’offre quelque chose d’ingénieux, soit par la pensée, soit par la tournure. »

On a reproché avec raison à Sénèque un style coupé, procédant par sentences, concis dans la forme et l’expression, redondant et diffus dans les idées, décochant un trait après un autre et manquant trop souvent de liaison. Caligula, son envieux émule au barreau, avait bien noté ce dernier point, lorsqu’il a dit spirituellement de ses compositions que c’était du sable sans chaux (arena sine calce.) Sa diction, exempte de l’obscurité naturelle ou cherchée de presque tous ses contemporains, est d’une précision qui brille par la propriété des termes, mais qui n’est pas toujours de la rapidité ; il s’attache à la coupe des phrases, à l’opposition des mots ; il tourne très-vite mais très-longtemps autour de la même idée. Il ne s’asservit à aucun plan, même dans ses traités de longue haleine, magnifiques et incomplètes ébauches, où néanmoins les traits essentiels du sujet sont saisis et marqués d’une lumière vive et frappante. Mais sous ces couleurs jetées plutôt que fondues, sous ce luxe pittoresque et inépuisable, à travers ces répétitions d’idées parfois semées de contradictions ou monotones, par-