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XXIII
ET LES ÉCRITS DE SÉNÈQUE.


nos jours, est l’expression de la société. Ajoutons que cette corruption morale, ces débauches monstrueuses et les sanglants excès de gouvernements non moins monstrueux provoquaient dans les âmes honnêtes une violence et une exagération de résistance qui les poussaient à dépasser la mesure et les convenances du goût[1]. Du moins, quant au fond, tout est loin d’être hyperbolique dans les peintures de notre philosophe, comme il le semblerait aux esprits de nos jours témoins de mœurs relativement si douces : il donne le tableau vivant et fidèle de faits contemporains. Le stoïcisme, dont les doctrines échauffent et inspirent la majeure partie de ces pages, entretint aussi chez Sénèque cette tendance à outrer le vrai, cette ferveur de prédication rigide, enthousiaste, surhumaine parfois, reprochée à l’écrivain comme à la secte. Rappelons pourtant que, par une heureuse inconséquence et grâce à sa raison supérieure, il n’est pas toujours resté à cette hauteur exagérée des principes de Zénon : il les a plus d’une fois mitigés, répudiés même. Si Quintilien lui compte comme grief d’être peu arrêté dans ses doctrines philosophiques, tant mieux pour son livre, dirons-nous, il n’est plus serf d’une école, emprisonné dans un système, il choisit, il est libre, il est lui enfin. Aussi ne cesse-t-il de revendiquer son indépendance d’opinion ; en maint endroit il répète : « Nous ne sommes pas sous un roi. J’admire les stoïciens par-dessus tous les autres : ce sont des hommes ; les autres philosophes ne semblent auprès d’eux que des femmes ; mais dans toutes les écoles, il y a à admirer. Platon, Épicure disent souvent la vérité. Tout ce qui est vrai m’appartient. » Lettres XXXIII, XLV, LXXX et passim.

Sénèque est un philosophe, non de théorie, mais d’esprit pratique : c’est un puissant propagateur de vérités faites pour

  1. Sous Caligula, sous Claude, sous Néron, lorsque le despotisme, au lieu d’être froidement pervers, s’emportait en frénésie barbare, l’imagination des écrivains prit quelque chose de cette folie désordonnée et de ces affreux caprices qu’ils avaient devant les yeux. » Villemain, Corruption des lettres romaines.