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DES BIENFAITS, LIVRE II.

quiert aucun titre à la gratitude : comme en effet le grand charme du don est dans la bonne volonté de l’auteur, celui qui par sa lenteur même a fait preuve de mauvais vouloir, n’a pas donné ; il s’est laissé prendre ce qu’il n’a pas su retenir. Libéralité chez ; bien des gens n’est qu’impuissance de refuser en face.

Les bienfaits les plus agréés sont ceux qui viennent d’eux-mêmes, faciles et empressés, et qui n’éprouvent de délai que par la pudeur de l’obligé. Le chef-d’œuvre de la bienfaisance est de prévenir les vœux ; sa seconde gloire est de les suivre, « Il sera donc mieux d’aller au-devant de la prière, parce que l’honnête homme qui sollicite a la physionomie contrainte et la rougeur au front : épargnons-lui cette gêne, nous l’obligerons deux fois1  » . Il n’a point obtenu gratis, s’il a demandé pour recevoir ; car, et nos sages ancêtres le pensaient, rien ne coûte comme ce qui s’achète avec des prières. On serait plus sobre de vœux, s’il les fallait émettre publiquement ; tant y a que même pour s’adresser aux dieux, qu’on peut certes supplier sans honte, on aime mieux le faire dans le silence et le secret du cœur.

II. Il y a un mot humiliant, qui pèse et ne peut se dire que le front baissé : Je vous demande2. Épargnons-le à notre ami, à quiconque peut le devenir par nos bons procédés. Quelque hâte qu’on y mette, le bienfait vient tard s’il ne vient qu’après la demande. Tâchons donc de deviner les vœux de chacun et, quand nous les aurons saisis, évitons-leur ]’amère nécessité de la prière. Un bienfait délicieux et qui vivra dans leur âme, sache-le bien, c’est celui qui les a prévenus. Si nous n’avons pu prendre les devants, coupons court aux paroles du solliciteur, pour ne pas sembler les avoir attendues ; et une fois averti, promettons sur-le-champ ; prouvons par notre empressement même que nous étions prêts à agir avant qu’on nous interpellât. Si pour un malade quelque nourriture en temps utile peut le sauver, si une goutte d’eau donnée à propos lui vaut un remède, de même le plus vulgaire service, quand il est prompt, quand pas un moment n’a été perdu, grandit beaucoup à nos yeux et efface en mérite tel don plus précieux venu tard et après longue réflexion. Qui fut si prompt à obliger ne laisse pas douter du plaisir qu’il goûte à le faire. Aussi est-ce avec bonheur qu’il oblige ; tout en lui reflète la physionomie de son âme.

III. Ce qui gâte souvent les plus grands services, c’est le si-