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DES BIENFAITS, LIVRE III.

ment et même origine : nul n’est plus noble qu’un autre, s’il n’a un naturel plus droit et plus apte aux pratiques du bien11. Étaler, dans un vestibule ses aïeux en peinture, et placer à l’entrée de sa demeure la longue série des noms de sa famille enguirlandés de mille festons généalogiques, c’est être un homme connu, plutôt que noble. Notre seul père à tous est le ciel : par de brillants ou obscurs degrés chacun de nous remonte à cette origine première. Ne sois point dupe de ces hommes qui, dans le recensement de leurs ancêtres, partout où leur manque un nom illustre, ont un dieu à y colloquer. Ne méprise point celui qui n’a pour cortège que des noms sans gloire et peu secondés de l’inclémente Fortune. Eussiez-vous pour ascendants des affranchis, ou des esclaves, ou même des barbares, n’en portez pas moins haut votre courage, franchissez tout cet intervalle de boue : au terme vous attend la vraie et suprême noblesse.

Pourquoi se gonfler d’orgueil et de vanité jusqu’à s’indigner de recevoir des bienfaits d’un esclave, et, sans rien voir que sa condition, oublier ses services ? Un esclave ! Oses-tu appeler ainsi qui que ce soit, toi l’esclave de la lubricité et de l’intempérance, d’une adultère maîtresse, ou plutôt le valet banal de toutes les adultères ? Traiter un homme d’esclave, toi ! Mais où donc courent te déposer les porteurs qui te promènent dans cette couche que tu nommes ta chaise, ces estaffiers déguisés en soldats et costumés comme aux jours de parade ? Où, dis-moi, vont-ils te descendre ? Devant la loge d’un misérable portier, ou près d’un sarcleur de jardins qui n’a même pas de rang chez son maître. Et tu nies encore qu’un esclave puisse être ton bienfaiteur, toi pour qui le baiser, de l’esclave d’autrui est un bienfait ? Quel immense contraste de sentiments ! Au même instant tu méprises les esclaves et tu leur fais ta cour ; impérieux et despote chez toi, humble au dehors, aussi méprise que méprisant. Car il n’est point d’âmes plus rampantes que celles qui portent le plus haut l’insolence ; et nul n’est prêt à vous fouler aux pieds comme ceux qui ont appris à prodiguer l’outrage à force de le recevoir12

XXIX. Ce que je dis là, j’ai dû le dire pour rabattre l’outrecuidance de ces hommes qui sont tout par leur fortune, et pour revendiquer les droits de l’esclave à exercer la bienfaisance, afin que ceux du fils aussi soient reconnus. On se demande, en effet, s’il est des cas où les enfants puissent rendre à leurs parents de plus signalés services qu’ils n’en ont reçu