Tout doit être dans le même état que lorsque je t’ai promis, pour que tu puisses dire que tu as ma parole. Et peut-il s’opérer changement plus complet que si je découvre en toi un méchant homme, un ingrat ? Ce que je donnais à ton mérite supposé, je le refuserai à ton démérite, et j’aurai encore droit de t’en vouloir pour m’avoir abusé.
XXXVI. Toutefois j’examinerai aussi de quelle importance est la chose : je prendrai conseil de ce que vaut celle que j’ai promise. Si c’est une bagatelle, je donnerai, non que tu le mérites, mais parce que j’ai promis ; non à titre de présent, mais pour racheter ma parole, et je me tancerai à part moi, et je m’infligerai ce petit sacrifice comme peine de mon irréflexion. Voilà, me dirai-je, pour qu’il t’en souvienne, pour qu’à l’avenir tu sois plus réservé à promettre ; je payerai, suivant le dicton, pour le trop parlé. Si la somme est trop forte, je me garderai d’encourir un blâme multiplié, comme disait Mécène, par dix millions de sesterces. Je ferai cette comparaison : c’est quelque chose d’être constant dans sa promesse, c’est beaucoup aussi de ne pas donner à un indigne. Toutefois considérons la valeur de l’objet : s’il est léger, fermons les yeux ; mais s’il doit me causer un dommage ou une honte sensibles, j’aime mieux avoir à justifier une seule fois mon refus, que perpétuellement ma condescendance. Je le répète, tout est dans la portée des termes de mon engagement. Non content de retenir ce que j’aurai étourdiment promis, je redemanderai ce que j’aurai donné mal à propos. C’est folie de se croire lié par un malentendu.
XXXVII. Philippe, roi de Macédoine, avait un soldat, homme d’action, dont en plus d’une expédition il avait éprouvé les utiles services : de temps à autre, pour prix de sa valeur, il lui donnait part dans le butin et encourageait cette âme vénale par de fréquentes gratifications. Ce soldat fut jeté par un naufrage sur les terres d’un Macédonien qui à cette nouvelle s’empresse d’accourir, rappelle ce qui lui reste de vie, le transporte en sa demeure, lui cède son lit, le réconforte brisé qu’il était et demi-mort, le soigne trente jours à ses propres frais, le guérit et lui donne de quoi se remettre en route ; et le soldat de répéter à tout instant : « Je te prouverai ma reconnaissance ; que j’aie seulement le bonheur de revoir mon général.» Il va en effet conter à Philippe son naufrage, sans dire un mot de son bienfaiteur, et le prie tout aussitôt de lui accorder la ferme d’un particulier qu’il désigne. Ce par-