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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/483

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DES BIENFAITS, LIVRE V.

ce qu'il eût voulu, ce qu'il eût dû faire lui-même. Ceci toutefois n'est un bienfait qu'autant qu'il ne vient point de ce sentiment de pitié et d'humanité qui me ferait ensevelir les restes du premier venu : il faut que j'aie reconnu la personne et songé qu'alors, j'obligeais le fils. Mais que je recouvre de terre le cadavre d'un inconnu, nul ne m'est obligé d'avoir pris ce soin : c'est là une charité banale.

On me dira : « Pourquoi rechercher si scrupuleusement qui tu as obligé? Est-ce pour réclamer plus tard? Il est des gens qui pensent qu'il ne faut jamais redemander, et voici leurs motifs : l'ingrat, quand tu lui réclamerais, ne rendra point; l'homme reconnaissant rendra de lui-même. D'ailleurs, si tu as donné à un honnête homme, attends : point d'injurieuse sommation, comme s'il n'était pas disposé à s'acquitter; si c'est un malhonnête homme, portes-en la peine. Ne gâte pas le beau nom de bienfait, n'en fais pas une créance. Et puis, où la loi n'ordonne pas de répéter, elle le défend. » Tout cela est vrai, tant que rien ne me presse, tant que la Fortune ne me contraint point ; je demanderai plutôt un service que je ne le redemanderai. Mais s'il s'agit de la vie de mes enfants, si ma femme court quelque danger, si le salut, si la liberté de mon pays m'envoient où je ne voudrais pas aller, je surmonterai ma répugnance et protesterai que j'avais tout fait pour me passer des secours d'un ingrat. Et en somme, la nécessité de rentrer dans mes avances l'emportera sur la honte de redemander. Au reste, quand j'oblige un honnête homme, c'est à condition de ne rien réclamer que dans le cas d'impérieux besoins.

XXI. « Mais la loi, en ne permettant pas ces répétitions, les prohibe. » Que de choses n'ont pour elles ni loi ni droit d'action, mais que l'usage social et humain, plus fort que toute loi a autorisées ! Aucune loi ne commande de garder les secrets de nos amis, aucune de tenir parole même à un ennemi. Quelle loi nous oblige à remplir une simple promesse? Et pourtant je poursuivrai de mes plaintes l'homme qui aura divulgué un propos confidentiel; je m'indignerai qu'un engagement ait été pris et méconnu. « Mais c'est changer en créance le bienfait ! » Non pas : je n'exige point, je redemande, et même je ne redemande pas : j'avertis. La plus extrême nécessité ne me fera point recourir à un homme avec qui j'aurais longtemps à lutter. S'il est assez ingrat pour qu'un avertissement ne lui suffise point, je passe outre et ne le juge pas digne d'être forcé à la reconnaissance. Le créancier n'assigne pas ceux de ses dé-