Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/487

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LIVRE VI.

I. Il est des questions, vertueux Libéralis, qui, uniquement faites pour exercer l’esprit, restent toujours en dehors de la vie pratique ; il en est dont la discussion plaît et dont la solution est utile. Je t’en donnerai de toutes à choisir. C’est à toi, comme tu l’entendras, de prescrire soit l’entrée en lutte, soit une simple revue qui dessine à l’œil le programme des jeux. Celles mêmes que tu auras hâte d’écarter n’auront pas été tout à fait stériles ; car bien des choses, superflues à apprendre, peuvent être bonnes à connaître. J’aurai donc les yeux fixés sur ton visage, et selon qu’il m’y invitera, je traiterai plus au long certains points, éliminant les autres et les rejetant sans pitié.

II. Un bienfait peut-il être retiré ? Quelques-uns prétendent que non. C’est, disent-ils, un acte et non pas une chose : ainsi le don diffère de l’action de donner ; ainsi le navigateur est autre que la navigation. Bien qu’il n’y ait point de malade sans maladie, la maladie et le malade ne sont pas même chose : pareillement autre est le bienfait en lui-même, autre l’avantage qui peut en revenir à chacun de nous. Il est incorporel et ne cesse pas d’être : c’est la matière du bienfait qui flotte au gré du sort et qui change de maître. Ainsi, quand tu me l’enlèves, la nature elle-même ne peut révoquer le don qu’elle a fait. Elle interrompt ses bienfaits, elle ne les met pas à néant. L’homme qui meurt a vécu cependant ; et celui qui perd les yeux a vu la lumière. Les biens qui nous furent conférés, on peut faire qu’ils ne soient plus, mais non point qu’ils n’aient pas été. Or une partie du bienfait, et la plus sûre même, est dans le passé. Quelquefois nous cessons de pouvoir jouir plus longtemps du bienfait : le bienfait lui-même ne s’efface point. Quand la nature ferait effort de tous ses moyens, elle ne saurait revenir sur ses pas. On peut me ravir la moisson, l’argent, l’esclave, tout ce qui chez moi porte le titre de bienfait ; le bienfait en soi demeure, il est immuable. Nulle puissance ne fera que l’un n’ait point donné, que l’autre n’ait point reçu.

III. La belle parole, selon moi, que le poëte Rabirius met dans la bouche de M. Antoine, alors que voyant sa fortune,