à t’indigner de cet accident comme de quelque chose d’inouï, tu devrais t'étonner plutôt si cela n’arrivait point. C’est ou la peine ou la dépense qui rebute ces hommes, ou le risque à courir, ou la mauvaise honte d’avouer en rendant qu’ils ont reçu ; chez l’un c’est faute de savoir s’y prendre, chez l’autre indolence, chez un autre trop d’occupations. Vois ces immenses cupidités béantes et demandant toujours : t’étonneras-tu que nul ne rende, quand nul ne croit recevoir assez ? Est-il parmi de telles gens une âme tellement sûre et solide qu’on y puisse déposer sans risque un bienfait ? Ils sont forcenés de luxure ou esclaves de leur ventre, ou tout entiers au lucre, dont le chiffre seul, non les moyens, les préoccupe ; travaillés soit par l’envie, soit par l’ambition qui se rue en aveugle à travers les glaives. Et que d’âmes paralysées et décrépites ! Et, à l’opposé, que de cœurs inquiets, agités, en tourmente perpétuelle ! Et puis l’excessive estime de soi, et l’impudence, gonflée de ce qui fait sa honte. Que dirai-je des tendances obstinées au mal, de ces légèretés d’humeur voltigeant sans cesse d’un projet à l’autre ? Que l’on y joigne la témérité étourdie, et la crainte, toujours infidèle conseillère, et ce labyrinthe d’inconséquences où se débattent les hommes, l’audace chez les lâches, la discorde entre les plus intimes, et l’universelle maladie d’avoir foi en l’incertitude même, de dédaigner ce qu’on possède, de convoiter ce qu’on avait jugé inespérable.
XXVII. C’est parmi les passions les plus orageuses que tu cherches la vertu la plus calme, la fidélité. Si l’exacte image de la vie humaine s’offrait à tes regards, il te semblerait voir le tableau d’une ville emportée d’assaut où, sans pudeur ni respect du juste, la force prend conseil d’elle seule, comme au signal donné d’un bouleversement général. On ne s’abstient ni du fer ni de la flamme ; le crime est libre du frein des lois ; la religion elle-même, cette sauvegarde des suppliants au milieu des armes ennemies, n’est d’aucun obstacle pour des gens qui courent à la proie. C’est à qui pillera le particulier, le public, le profane, le sacré : on brise, on escalade ; impatient d’une voie trop étroite, on renverse tout ce qui gêne, on marche au butin sur des ruines. L’un dépouille et n’égorge pas ; l’autre a le bras chargé de sanglantes rapines ; pas un qui n’emporte quelque chose d’autrui. Au milieu de cette avidité de la race humaine, certes tu oublies trop quel sort pèse sur nous tous, si tu cherches dans une armée de ravisseurs quelqu’un qui restitue. Tu t’indignes qu’il y ait des ingrats ! Indignè-toi donc qu’il y ait