Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/173

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deux sont biens au même titre, quoique le premier ait foulé une terre aplanie, et le second, d’âpres sentiers. Ils se réduisent à une même fin : ils sont bons, ils sont louables, ils ont la vertu et la raison pour compagnes ; la vertu égalise tout ce qu’elle avoue comme sien.

Mais n’admire pas cette doctrine comme purement stoïcienne. Chez Épicure il y a deux sortes de biens, dont se compose la suprême béatitude : l’absence de douleur pour le corps et de trouble pour l’âme. Ces biens ne s’accroissent plus, dès qu’ils sont complets ; d’où viendrait l’accroissement où il y a plénitude ? Que le corps soit exempt de douleur, qu’ajoutera-t-on à cet état négatif ? De même qu’un ciel serein n’est pas susceptible d’une clarté plus vive, dès qu’il est pur de tout nuage et entièrement net, ainsi l’homme qui veille sur son corps et sur son âme, qui ourdit au moyen de l’un et de l’autre sa félicité, se trouve dans un état parfait et au comble de ses désirs, quand ni son âme n’est en proie aux orages ni son corps à la souffrance. Si quelques douceurs de plus lui viennent du dehors, elles n’ajoutent rien au souverain bien, mais, pour ainsi dire, elles l’assaisonnent, elles l’égayent ; car le bonheur absolu de la nature humaine se contente de la paix de l’âme et du corps. Je vais encore te montrer chez Épicure une autre division des biens, toute semblable à la nôtre. Ainsi il est des choses qu’il souhaiterait de préférence, comme le repos du corps libre de tout malaise, et la quiétude d’une âme heureuse par la conscience de ses vertus ; il en est d’autres dont il voudrait que l’occasion ne vînt pas et que néanmoins il loue et approuve fort, par exemple, comme je le disais tout à l’heure, une patience à l’épreuve de la mauvaise santé et des plus vives douleurs, patience qui fut la sienne dans le dernier et le plus heureux jour de sa vie. Il disait en effet : « Ma vessie et mon ventre ulcéré me torturent si fort qu’il n’y a point d’accroissement possible à ma souffrance ; et néanmoins c’est pour moi un heureux jour. » Or être heureux ainsi n’appartient qu’à l’homme en possession du souverain bien. Tu vois donc chez Épicure même ces biens dont tu aimerais mieux ne pas faire l’épreuve, et que pourtant, puisque ainsi le sort l’a voulu, il faut embrasser avec amour et louer à l’égal des plus grands biens. Il en est l’égal, peut-on le nier ? ce bien qui couronne une heureuse carrière, et pour lequel les dernières paroles d’Épicure sont des actions de grâce.

Permets-moi, vertueux Lucilius, une assertion plus hardie