Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sant patriciat, cette élite de la République, avant-garde du parti pompéien, ce sénat romain sous les armes sera écrasé dans une seule action ; l’écroulement du colosse enverra ses débris tomber par tout le globe, les uns en Égypte, d’autres en Afrique, d’autres en Espagne, et cette malheureuse République n’aura pas même la consolation de périr en une fois. » Oui, tous les malheurs dussent-ils éclater, Juba dans son royaume n’être point assez fort ni de la connaissance des lieux ni de l’obstiné dévouement du peuple à son roi ; dût la foi même de ceux d’Utique fléchir brisée par le malheur, et Scipion voir en Afrique la fortune de son nom l’abandonner, Caton a pourvu dès longtemps à ce que nul dommage ne pût l’atteindre. « Il a été vaincu pourtant ! » Eh bien ! compte cela pour une exclusion de plus ; sa grande âme est prête à se voir interdire la victoire comme la préture. Le jour où celle-ci lui fut déniée, il joua à la paume ; la nuit de sa mort il ne fit que lire : ce fut pour lui même chose de perdre la préture ou la vie ; quoi qu’il pût arriver, il s’était fait une loi de le souffrir. Pourquoi n’aurait-il pas souffert aussi le renversement de la République avec constance et résignation ? Car est-il rien qui soit excepté de la chance des révolutions ? Ni terre ni ciel n’y échappent, ni cette belle contexture de l’immense univers, bien qu’un Dieu le gouverne et le guide. Cet ordre sublime n’est point éternel ; ce cours harmonieux, un jour viendra qui doit le rompre. Tout a sa marche et ses périodes fixes : tout doit naître, croître, s’éteindre. Ces grands corps qui roulent sur nos têtes, cette masse dont nous faisons partie, ce support en apparence immuable, attendent leur déclin et leur[1]terme. Il n’est rien qui n’ait sa vieillesse : inégaux sont les intervalles, mais la destinée est la même. Tout ce qui est cessera d’être, non pour périr, mais pour se décomposer. À nos yeux la décomposition c’est la mort, car nous regardons au plus près de nous ; notre vue obtuse ne va pas au delà, c’est à la matière qu’elle s’attache ; mais qu’on verrait avec plus de courage mourir et soi-même et les siens, si on s’élevait à l’espoir que tout passe ainsi et alterne de la vie à la mort[2], et se décompose pour se recomposer, et que c’est l’œuvre où s’emploie incessamment la toute puissance du céleste ouvrier. Aussi, comme

  1. Voy. Consolat. à Polybe, XXI
  2. Voy. Consolat. à Marcia. LVI. Quest. natur., III, X