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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/228

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frayeur de la mort. Comment en effet y aurait-il place pour la satiété dans une existence occupée de tant de choses si variées, si grandes, si divines ? Ce qui toujours nous rend à charge à nous-mêmes, c’est l’inertie dans le loisir. À l’homme qui parcourt le domaine de la nature jamais la vérité n’apporte l’ennui : mais le faux rassasie bien vite. D’autre part si la mort approche et l’appelle, fût-ce prématurément, fût-ce au milieu de sa carrière brisée, il n’en a pas moins cueilli longtemps les fruits de la vie et connu en grande partie la nature : il sait que la vertu ne croît pas en raison du temps. Ceux-là trouvent nécessairement la vie courte qui lui donnent pour mesure des voluptés chimériques, dès lors sans limites.

Que de telles pensées te réconfortent et que le travail de notre correspondance y contribue aussi parfois. Un jour viendra où, rapprochés de nouveau, nous ne ferons plus qu’un ; et si courts que soient ces moments, nous les ferons longs en les utilisant. Car, comme le dit Posidonius, « un seul jour de l’homme instruit a plus d’étendue que la plus longue vie de l’ignorant84. » En attendant, attache-toi, cramponne-toi à ce principe : ne point succomber aux rigueurs du sort, ne pas nous fier à ses faveurs ; ne jamais perdre de vue jusqu’où vont ses caprices, et nous figurer que tout ce qu’il peut faire, il le fera. Toute épreuve longtemps attendue est plus légère quand elle arrive.


LETTRE LXXIX.

Scylla, Charybde, l’Etna. La gloire est l’ombre de la vertu.

J’attends que tes lettres me signalent ce que ta tournée dans la Sicile entière t’aura fait voir de nouveau, et tout ce qu’on a de positif sur Charybde. Qu’en effet Scylla ne soit qu’un rocher, qui même n’effraye point les navigateurs, je le sais parfaitement ; mais Charybde répond-elle bien aux histoires qu’on en fait : je le voudrais savoir au juste. Et si par hasard tu l’as observé, la chose en vaut la peine, éclaire-nous sur cette question : le tournoiement du détroit n’a-t-il lieu que sous l’action d’un seul vent, ou bien toute espèce de bourrasque produit-elle