Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/337

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indisposition était simple comme sa cause : la multiplicité des mets a multiplié les maladies. Pour passer par un seul gosier, vois que de substances combinées par le luxe, dévastateur de la terre et de l’onde ! Des aliments tout hétérogènes doivent nécessairement se combattre et altérer les digestions par leurs tendances diverses. Et il n’est pas surprenant que de matières si discordantes naissent des maladies si capricieuses et si variées, et que des éléments de contraire nature, concentrés sur un seul point, regorgent au dehors. Par là, nos maladies sont aussi peu uniformes que notre vivre.

Le prince, et tout à la fois le fondateur de la médecine, a dit que les femmes ne sont sujettes ni à la perte des cheveux ni à la goutte aux jambes[1]. Cependant et leurs cheveux tombent et leurs jambes souffrent de la goutte. Ce n’est pas la constitution des femmes, c’est leur vie qui a changé : c’est pour avoir lutté d’excès avec les hommes qu’elles ont subi les infirmités des hommes. Comme eux elles veillent, elles boivent comme eux ; elles les défient à la gymnastique et à l’orgie ; elles vomissent aussi bien qu’eux ce qu’elles viennent de prendre au refus de leur estomac et rendent toute la même dose du vin qu’elles ont bu ; elles mâchent également de la neige pour rafraîchir leurs entrailles brûlantes. Et leur lubricité ne le cède même pas à la nôtre : nées pour le rôle passif (maudites soient-elles par tous les dieux !), ces inventrices d’une débauche contre nature en viennent à assaillir des hommes52. Comment donc s’étonner que le plus grand des médecins, celui qui connaît le mieux la nature, soit pris en défaut et qu’il y ait tant de femmes chauves et podagres ? Elles ont perdu à force de vices le privilège de leur sexe ; elles ont dépouillé leur retenue de femmes, les voilà condamnées aux maladies de l’homme. Les anciens médecins ne savaient pas recourir à la fréquence des aliments et soutenir par le vin un pouls qui va s’éteindre ; ils ne savaient pas tirer du sang et chasser une affection chronique à l’aide du bain et des sueurs ; ils ne savaient pas, par la ligature des jambes et des bras, renvoyer aux extrémités le mal secret qui siége au centre du corps. Rien n’obligeait à chercher bien loin mille espèces de secours contre des périls si peu nombreux. Mais aujourd’hui, quels immenses pas ont faits

  1. Hippocrate dans ses aphorismes parle ainsi des eunuques, non des femmes; il dit seulement qu'elles ne sont point sujettes à la goutte, si non menses ipsi defecerint.