Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/370

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je fus réveillé par la remise de ta lettre, et tout mon beau rêve fut perdu. J’y reviendrai quand je serai quitte avec toi : je veux le ressaisir à tout prix.

Tu dis au début de ta lettre que je n’ai pas entièrement développé ma thèse stoïcienne « que l’illustration qui s’obtient après la mort est un bien, qu’en effet je n’ai pas résolu l’objection qu’on nous oppose : « Jamais il n’y a de bien où il y a solution de continuité ; or ici cette solution a lieu. » — Ta difficulté, Lucilius, se rattache à la question, mais doit être vidée ailleurs : c’est pourquoi j’avais différé d’y répondre, comme à d’autres choses qui ont trait au même sujet. Car en certains cas, tu le sais, les sciences rationnelles rentrent dans la morale. J’ai donc traité, comme touchant directement aux mœurs, cette thèse-ci : « Si ce n’est pas chose folle et sans objet que d’étendre ses soins au delà du jour suprême ? Si les biens de l’homme périssent avec nous, et s’il n’y a plus rien pour qui n’est plus ? Si une chose qui, lorsqu’elle existera, ne sera pas sentie par nous, peut offrir, avant qu’elle existe, quelque fruit à recueillir ou à désirer ? » Tout ceci est de la morale : aussi l’ai-je placé en[1] son lieu. Quant à ce que disent contre cette opinion les dialecticiens, je devais le réserver et je l’ai fait. Maintenant que tu veux le tout ensemble, j’exposerai leurs arguments en bloc pour y répondre ensuite en détail.

À moins de quelques préliminaires, ma réfutation ne serait pas comprise. Et quels préliminaires veux-je présenter ? qu’il est des corps continus, tels que l’homme ; des corps composés, comme un vaisseau, une maison, enfin tout ce qui forme unité par l’assemblage de diverses parties ; des corps divisibles, aux membres séparés, tels qu’une armée, un peuple, un sénat : car les membres qui constituent ces corps sont réunis par droit ou par devoir, mais distincts et isolés par nature. Que faut-il encore que j’avance ? que, selon nous, il n’y a pas de bien où il y a solution de continuité ; vu qu’un même esprit devant contenir et régir un même bien, l’essence d’un bien unique est une. Si tu en désires la preuve, elle est par elle-même évidente ; mais je devais poser ce principe, puisqu’on nous attaque par nos propres armes.

« Vous avouez, nous dit-on, qu’il n’y a pas de bien où il y a solution de continuité. Or l’illustration, c’est l’opinion favorable

  1. Dans son grand Traité de morale qui est perdu.