Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/389

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combres il te faut parcourir cette route hérissée d’écueils. « Un ami vouloir ma mort[1] ! » Prépare ton âme à tout cela : tu es venu, sache-le bien, où éclate la foudre ; tu es venu sur des bords

Qu’habitent les chagrins et les remords vengeurs,

Et la triste vieillesse et les pâles douleurs[2].


C’est dans cette compagnie que la vie doit s’achever. Éviter tant d’ennemis, tu ne le peux ; les braver est possible, et on les brave quand on y a songé souvent et tout prévu d’avance. On affronte plus hardiment le péril contre lequel on s’est longuement aguerri ; et les plus dures atteintes, dès qu’on s’y attend, s’amortissent, comme les plus légères effrayent, si elles sont imprévues. Tâchons que rien ne le soit pour nous ; et comme tout mal dans sa nouveauté pèse davantage, tu devras à une méditation continuelle de n’être neuf pour aucun.

« Mes esclaves m’ont abandonné ! » D’autres ont pillé leur maître, l’ont calomnié, massacré, trahi, foulé aux pieds, empoisonné, poursuivi criminellement. Tout ce que tu dirais de pire est arrivé mille fois. Et puis, quelle multitude et quelle variété de traits nous menacent ! Les uns déjà nous ont percés ; on brandit les autres : en ce moment même ils arrivent ; beaucoup, qui vont frapper autrui, nous effleurent. Ne soyons surpris d’aucune des épreuves pour lesquelles nous sommes nés : nul n’a droit de s’en plaindre, elles sont communes à tous. Je dis à tous, car celui même qui y échappe pouvait les subir ; or la loi juste est celle non point qui a son effet sur tous, mais qui est faite pour tous. Imposons à notre âme la résignation, et payons sans gémir les tributs d’un être mortel. L’hiver amène les frimas, souffrons son âpreté ; l’été revient avec ses chaleurs, endurons-les ; une température malsaine attaque notre santé, sachons être malades. Tantôt une bête sauvage se jettera sur nous, ou un homme plus féroce que toute bête sauvage. L’onde nous ravira ceci, la flamme cela. C’est la constitution des choses : la changer nous est impossible ; ce que nous pouvons, c’est de nous élever à cette hauteur d’âme, si digne de la vertu, qui souffre avec courage les coups du hasard et veut ce que veut la nature. Or la nature, comme tu vois, gouverne ce monde par le changement. Aux nuages succède la sérénité ; les

  1. Je lis avec un Mss.: Mori me vult? et non Mori vult?
  2. Énéide, I, 264.